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CICÉRON.


Le grand ridicule de toutes ces chronologies fantastiques est d’arranger toutes les époques de la vie d’un homme, sans savoir si cet homme a existé.

Lenglet répète après quelques autres, dans sa Compilation chronologique de l’histoire universelle, que précisément dans le temps d’Abraham, six ans après la mort de Sara, très-peu connue des Grecs, Jupiter, âgé de soixante et deux ans, commença à régner en Thessalie ; que son règne fut de soixante ans ; qu’il épousa sa sœur Junon ; qu’il fut obligé de céder les côtes maritimes à son frère Neptune ; que les Titans lui firent la guerre. Mais y a-t-il eu un Jupiter ? C’était par là qu’il fallait commencer.



CICÉRON[1].


C’est dans le temps de la décadence des beaux-arts en France, c’est dans le siècle des paradoxes et dans l’avilissement de la littérature et de la philosophie persécutée, qu’on veut flétrir Cicéron ; et quel est l’homme qui essaye de déshonorer sa mémoire ? c’est un de ses disciples ; c’est un homme qui prête, comme lui, son ministère à la défense des accusés ; c’est un avocat qui a étudié l’éloquence chez ce grand maître ; c’est un citoyen qui paraît animé comme Cicéron même de l’amour du bien public[2].

Dans un livre intitulé Canaux navigables[3], livre rempli de vues patriotiques et grandes plus que praticables, on est bien étonné de lire cette philippique contre Cicéron, qui n’a jamais fait creuser de canaux :

« Le trait le plus glorieux de l’histoire de Cicéron, c’est la ruine de la conjuration de Catilina ; mais, à le bien prendre, elle ne fit du bruit à Rome qu’autant qu’il affecta d’y mettre de l’im-

  1. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)
  2. M. Linguet. Cette satire de Cicéron est l’effet de ce secret penchant qui porte un grand nombre d’écrivains à combattre, non les préjugés populaires, mais les opinions des hommes éclairés. Ils semblent dire comme César : J’aimerais mieux être le premier dans une bicoque que le second dans Rome. Pour acquérir quelque gloire en suivant les traces des hommes éclairés, il faut ajouter des vérités nouvelles à celles qu’ils ont établies ; il faut saisir ce qui leur est échappé, voir mieux et plus loin qu’eux. Il faut être né avec du génie, le cultiver par des études assidues, se livrer à des travaux opiniâtres, et savoir enfin attendre la réputation. Au contraire, en combattant leurs opinions, on est sûr d’acquérir à meilleur marché une gloire plus prompte et plus brillante ; et si on aime mieux compter les suffrages que de les peser, il n’y a point à balancer entre ces deux partis. (K.)
  3. Canaux navigables pour la Picardie et toute la France, par Simon-Nicolas-Henri Linguet. Paris, 1769, in-8o.