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CHRONOLOGIE.

forment qu’un amas indigeste d’événements mêlés de fables, sans presque aucune date, que sera-ce de petites nations resserrées dans un coin de terre, qui n’ont jamais fait aucune figure dans le monde, malgré tous leurs efforts pour remplacer en charlataneries et en prodiges ce qui leur manquait en puissance et en culture des arts ?

DE LA VANITÉ DES SYSTÈMES, SURTOUT EN CHRONOLOGIE.

M. l’abbé de Condillac rendit un très-grand service à l’esprit humain, quand il fit voir le faux de tous les systèmes. Si on peut espérer de rencontrer un jour un chemin vers la vérité, ce n’est qu’après avoir bien reconnu tous ceux qui mènent à l’erreur. C’est du moins une consolation d’être tranquille, de ne plus chercher, quand on voit que tant de savants ont cherché en vain.

La chronologie est un amas de vessies remplies de vent. Tous ceux qui ont cru y marcher sur un terrain solide sont tombés. Nous avons aujourd’hui quatre-vingts systèmes, dont il n’y en a pas un de vrai.

Les Babyloniens disaient : « Nous comptons quatre cent soixante et treize mille années d’observations célestes. » Vient un Parisien qui leur dit : « Votre compte est juste ; vos années étaient d’un jour solaire ; elles reviennent à douze cent quatre-vingt-dix-sept des nôtres, depuis Atlas, roi d’Afrique, grand astronome, jusqu’à l’arrivée d’Alexandre à Babylone. »

Mais jamais, quoi qu’en dise notre Parisien, aucun peuple n’a pris un jour pour un an ; et le peuple de Babylone encore moins que personne. Il fallait seulement que ce nouveau venu de Paris dît aux Chaldéens : « Vous êtes des exagérateurs, et nos ancêtres des ignorants ; les nations sont sujettes à trop de révolutions pour conserver des quatre mille sept cent trente-six siècles de calculs astronomiques. Et quant au roi des Maures Atlas, personne ne sait en quel temps il a vécu. Pythagore avait autant de raison de prétendre avoir été coq, que vous de vous vanter de tant d’observations[1]. »

  1. Plusieurs savants ont imaginé que ces prétendues époques chronologiques n’étaient que des périodes astronomiques imaginées pour comparer entre elles les révolutions des planètes et celle des étoiles fixes. Ces périodes, dont les prêtres astronomes et philosophes avaient seuls le secret, étant venues à la connaissance du peuple et des étrangers, on les prit pour des époques réelles, et on y arrangea des événements miraculeux, des dynasties de rois qui régnaient chacun des milliers d’années, etc., etc. ; cette opinion assez probable est la seule idée raisonnable qu’on ait eue sur cette question. (K.)