Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
176
CHRONOLOGIE.

Mais quand les premières annales se bornent à nous instruire qu’il y eut une éclipse sous un tel prince, c’est nous apprendre que ce prince existait, et non pas ce qu’il a fait.

De plus, les Chinois comptent l’année de la mort d’un empereur tout entière, fût-il mort le premier jour de l’an ; et son successeur date l’année suivante du nom de son prédécesseur. On ne peut montrer plus de respect pour ses ancêtres ; mais on ne peut supputer le temps d’une manière plus fautive en comparaison de nos nations modernes.

Ajoutez que les Chinois ne commencent leur cycle sexagénaire, dans lequel ils ont mis de l’ordre, qu’à l’empereur Hiao, deux mille trois cent cinquante-sept ans avant notre ère vulgaire. Tout le temps qui précède cette époque est d’une obscurité profonde.

Les hommes se sont toujours contentés de l’à-peu-près en tout genre. Par exemple, avant les horloges on ne savait qu’à peu près les heures du jour et de la nuit. Si on bâtissait, les pierres n’étaient qu’à peu près taillées, les bois à peu près équarris, les membres des statues à peu près dégrossis : on ne connaissait qu’à peu près ses plus proches voisins ; et malgré la perfection où nous avons tout porté, c’est ainsi qu’on en use encore dans la plus grande partie de la terre.

Ne nous étonnons donc pas s’il n’y a nulle part de vraie chronologie ancienne. Ce que nous avons des Chinois est beaucoup, si vous le comparez aux autres nations.

Nous n’avons rien des Indiens ni des Perses, presque rien des anciens Égyptiens, Tous nos systèmes inventés sur l’histoire de ces peuples se contredisent autant que nos systèmes métaphysiques.

Les olympiades des Grecs ne commencent que sept cent vingt-huit ans avant notre manière de compter. On voit seulement vers ce temps-là quelques flambeaux dans la nuit, comme l’ère de Nabonassar, la guerre de Lacédémone et de Messène ; encore dispute-t-on sur ces époques.

Tite-Live n’a garde de dire en quelle année Romulus commença son prétendu règne. Les Romains, qui savaient combien cette époque est incertaine, se seraient moqués de lui s’il eût voulu la fixer.

Il est prouvé que les deux cent quarante ans qu’on attribue aux sept premiers rois de Rome sont le calcul le plus faux.

Les quatre premiers siècles de Rome sont absolument dénués de chronologie.

Si quatre siècles de l’empire le plus mémorable de la terre ne