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DE LA CHINE.

des instituteurs du monde qui ne se soit point fait suivre par des femmes.

J’ai connu un philosophe qui n’avait que le portrait de Confucius dans son arrière-cabinet ; il mit au bas ces quatre vers :

De la seule raison salutaire interprète,
Sans éblouir le monde, éclairant les esprits,
Il ne parla qu’en sage, et jamais en prophète ;
Cependant on le crut, et même en son pays[1].

J’ai lu ses livres avec attention ; j’en ai fait des extraits ; je n’y ai trouvé que la morale la plus pure, sans aucune teinture de charlatanisme. Il vivait six cents ans avant notre ère vulgaire[2]. Ses ouvrages furent commentés par les plus savants hommes de la nation. S’il avait menti, s’il avait fait une fausse chronologie, s’il avait parlé d’empereurs qui n’eussent point existé, ne se serait-il trouvé personne dans une nation savante qui eût réformé la chronologie de Confutzée ? Un seul Chinois a voulu le contredire, et il a été universellement bafoué.

Ce n’est pas ici la peine d’opposer le monument de la grande muraille de la Chine aux monuments des autres nations, qui n’en ont jamais approché ; ni de redire que les pyramides d’Égypte ne sont que des masses inutiles et puériles en comparaison de ce grand ouvrage ; ni de parler de trente-deux éclipses calculées dans l’ancienne chronique de la Chine, dont vingt-huit ont été vérifiées par les mathématiciens d’Europe ; ni de faire voir combien le respect des Chinois pour leurs ancêtres assure l’existence de ces mêmes ancêtres ; ni de répéter au long combien ce même respect a nui chez eux aux progrès de la physique, de la géométrie, et de l’astronomie.

On sait assez qu’ils sont encore aujourd’hui ce que nous étions tous il y a environ trois cents ans, des raisonneurs très-ignorants. Le plus savant Chinois ressemble à un de nos savants du XVe siècle qui possédait son Aristote. Mais on peut être un fort mauvais physicien et un excellent moraliste. Aussi c’est dans la morale et

  1. Ces vers sont de Voltaire. En 1780 parut un Abrégé historique des principaux traits de la vie de Confucius, avec un portrait au bas duquel on les avait mis. À cette occasion une lettre fut insérée dans l’Année littéraire, 1786, vii, 234, où Voltaire est appelé l’Arétin moderne : l’auteur de la lettre s’écrie : Quel poison est renfermé dans cette inscription ! (B.)
  2. La Biographie universelle dit que Confucius vécut de l’an 551 à l’an 479 avant notre ère.