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CHEMINS.

bois sur le Liban, quatre-vingt mille pour maçonner son temple, soixante et dix mille pour les charrois, et trois mille six cents pour présider aux travaux. Soit ; mais il ne s’agissait pas là de grands chemins.

Pline dit qu’on employa trois cent mille hommes pendant vingt ans pour bâtir une pyramide en Égypte : je le veux croire ; mais voilà trois cent mille hommes bien mal employés. Ceux qui travaillèrent aux canaux de l’Égypte, à la grande muraille, aux canaux et aux chemins de la Chine ; ceux qui construisirent les voies de l’empire romain, furent plus avantageusement occupés que les trois cent mille misérables qui bâtirent des tombeaux en pointe pour faire reposer le cadavre d’un superstitieux égyptien.

On connaît assez les prodigieux ouvrages des Romains, les lacs creusés ou détournés, les collines aplanies, la montagne percée par Vespasien dans la voie Flaminienne l’espace de mille pieds de longueur, et dont l’inscription subsiste encore. Le Pausilippe n’en approche pas.

Il s’en faut beaucoup que les fondations de la plupart de nos maisons soient aussi solides que l’étaient les grands chemins dans le voisinage de Rome ; et ces voies publiques s’étendirent dans tout l’empire, mais non pas avec la même solidité : ni l’argent ni les hommes n’auraient pu y suffire.

Presque toutes les chaussées d’Italie étaient relevées sur quatre pieds de fondation. Lorsqu’on trouvait un marais sur le chemin, on le comblait. Si on rencontrait un endroit montagneux, on le joignait au chemin par une pente douce. On soutenait en plusieurs lieux ces chemins par des murailles.

Sur les quatre pieds de maçonnerie étaient posés de larges pierres de taille, des marbres épais de près d’un pied, et souvent larges de dix ; ils étaient piqués au ciseau, afin que les chevaux ne glissassent pas. On ne savait ce qu’on devait admirer davantage ou l’utilité ou la magnificence.

Presque toutes ces étonnantes constructions se firent aux dépens du trésor public. César répara et prolongea la voie Appienne de son propre argent ; mais son argent n’était que celui de la république.

Quels hommes employait-on à ces travaux ? les esclaves, les peuples domptés, les provinciaux qui n’étaient point citoyens romains. On travaillait par corvées, comme on fait en France et ailleurs, mais on leur donnait une petite rétribution.

Auguste fat le premier qui joignit les légions au peuple pour travailler aux grands chemins dans les Gaules, en Espagne, en