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BLÉ OU BLED.

blasphème contre lui, et se plaint de mourir de faim. Il vaudrait mieux être poli et honnête.

Une chose aussi remarquable que consolante, c’est que jamais, en aucun pays de la terre, chez les idolâtres les plus fous, aucun homme n’a été regardé comme un blasphémateur pour avoir reconnu un Dieu suprême, éternel et tout-puissant. Ce n'est pas sans doute pour avoir reconnu cette vérité qu’on fit boire la ciguë à Socrate, puisque le dogme d'un Dieu suprême était annoncé dans tous les mystères de la Grèce. Ce fut une faction qui perdit Socrate. On l’accusa au hasard de ne pas reconnaître les dieux secondaires : ce fut sur cet article qu’on le traita de blasphémateur.

On accusa de blasphème les premiers chrétiens par la même raison ; mais les partisans de l’ancienne religion de l'empire, les joviens, qui reprochaient le blasphème aux premiers chrétiens, furent enfin condamnés eux-mêmes comme blasphémateurs sous Théodose II.

Dryden a dit :


This side to day and the other to morrow burns,
And they are all God’s almighty in their turns.

Tel est chaque parti, dans sa rage obstiné,
Aujourd’hui condamnant, et demain condamné.



BLÉ ou BLED[1].


SECTION PREMIÈRE.


Origine du mot et de la chose.


Il faut être pyrrhonien outré pour douter que pain vienne de panis. Mais pour faire du pain il faut du blé. Les Gaulois avaient du blé du temps de César ; où avaient-ils pris ce mot de blé ? On prétend que c’est de bladum, mot employé dans la latinité barbare du moyen âge par le chancelier Desvignes, de Vincis, à qui l’empereur Frédéric II fit, dit-on, crever les yeux.

Mais les mots latins de ces siècles barbares n’étaient que d'anciens mots celtes ou tudesques latinisés. Bladum venait donc

  1. Les six sections de cet article sont de 1770, Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie. (B.)