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CHARLATAN.

CHARLATAN[1].


L’article Charlatan du Dictionnaire encyclopédique est rempli de vérités utiles, agréablement énoncées. M. le chevalier de Jaucourt y a développé le charlatanisme de la médecine.

On prendra ici la liberté d’y ajouter quelques réflexions. Le séjour des médecins est dans les grandes villes ; il n’y en a presque point dans les campagnes. C’est dans les grandes villes que sont les riches malades : la débauche, les excès de table, les passions, causent leurs maladies. Dumoulin, non pas le jurisconsulte, mais le médecin, qui était aussi bon praticien que l’autre, a dit en mourant qu’il laissait deux grands médecins après lui : la diète, et l’eau de la rivière.

En 1728[2], du temps de Lass[3], le plus fameux des charlatans de la première espèce, un autre, nommé Villars, confia à quelques amis que son oncle, qui avait vécu près de cent ans, et qui n’était mort que par accident, lui avait laissé le secret d’une eau qui pouvait aisément prolonger la vie jusqu’à cent cinquante années, pourvu qu’on fût sobre. Lorsqu’il voyait passer un enterrement, il levait les épaules de pitié : « Si le défunt, disait-il, avait bu de mon eau, il ne serait pas où il est. » Ses amis auxquels il en donna généreusement, et qui observèrent un peu le régime prescrit, s’en trouvèrent bien, et le prônèrent. Alors il vendit la bouteille six francs ; le débit en fut prodigieux. C’était de l’eau de la Seine avec un peu de nitre. Ceux qui en prirent et qui s’astreignirent à un peu de régime, surtout qui étaient nés avec un bon tempérament, recouvrèrent en peu de jours une santé parfaite. Il disait aux autres : « C’est votre faute si vous n’êtes pas entièrement guéris. Vous avez été intempérants et incontinents : corrigez-vous de ces deux vices, et vous vivrez cent cinquante ans pour le moins. » Quelques-uns se corrigèrent ; la fortune de ce bon char-

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Toutes les éditions portent 1728 ; mais je pense qu’il faut 1718. Law quitta la France à la fin de 1720. (B.)
  3. Voyez, tome XV, le chapitre ii du Précis du Siècle de Louis XV.