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CHANT, MUSIQUE, MÉLOPÉE, ETC.

Cette mélopée ressemblait à la déclamation d’aujourd’hui beaucoup moins que notre récit moderne ne ressemble à la manière dont on lit la gazette.

Je ne puis mieux comparer cette espèce de chant, cette mélopée, qu’à l’admirable récitatif de Lulli, critiqué par les adorateurs des doubles croches, qui n’ont aucune connaissance du génie de notre langue, et qui veulent ignorer combien cette mélodie fournit de secours à un acteur ingénieux et sensible.

La mélopée théâtrale périt avec la comédienne Duclos, qui n’ayant pour tout mérite qu’une belle voix, sans esprit et sans âme, rendit enfin ridicule ce qui avait été admiré dans la des Œillets et dans la Champmêlé.

Aujourd’hui on joue la tragédie sèchement : si on ne la réchauffait point par le pathétique du spectacle et de l’action, elle serait très-insipide. Notre siècle, recommandable par d’autres endroits, est le siècle de la sécheresse.

Est-il vrai que chez les Romains un acteur récitait, et un autre faisait les gestes ?

Ce n’est point par méprise que l’abbé Dubos imagina cette plaisante façon de déclamer. Tite-Live, qui ne néglige jamais de nous instruire des mœurs et des usages des Romains, et qui en cela est plus utile que l’ingénieux et satirique Tacite ; Tite-Live, dis-je, nous apprend[1] qu’Andronicus, s’étant enroué en chantant dans les intermèdes, obtint qu’un autre chantât pour lui tandis qu’il exécuterait la danse, et que de là vint la coutume de partager les intermèdes entre les danseurs et les chanteurs. « Dicitur cantum egisse magis vigente motu quum nihil vocis usus impediebat. » Il exprima le chant par la danse ; « cantum egisse magis vigente motu », avec des mouvements plus vigoureux.

Mais on ne partagea point le récit de la pièce entre un acteur qui n’eût fait que gesticuler, et un autre qui n’eût que déclamé. La chose aurait été aussi ridicule qu’impraticable.

  1. Livre VII. (Note de Voltaire.)