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BLASPHÈME.

mortel, et délivrée du péché par les seuls mérites de son fils ; l’ivrogne jacobin lui dit tout haut : « Vous en avez menti, blasphémateur vous-même. » Le cordelier descend de chaire, un grand crucifix de fer à la main, en donne cent coups à son adversaire, et le laisse presque mort sur la place.

Ce fut pour venger cet outrage que les dominicains firent beaucoup de miracles en Allemagne et en Suisse. Ils prétendaient prouver leur foi par ces miracles. Enfin ils trouvèrent le moyen de faire imprimer, dans Berne, les stigmates de notre Seigneur Jésus-Christ à un de leurs frères lais nommé Jetser[1] : ce fut la sainte Vierge elle-même qui lui fit cette opération ; mais elle emprunta la main du sous-prieur, qui avait pris un habit de femme, et entouré sa tête d’une auréole. Le malheureux petit frère lai, exposé tout en sang sur l’autel des dominicains de Berne à la vénération du peuple, cria enfin au meurtre, au sacrilège ; les moines, pour l’apaiser, le communièrent au plus vite avec une hostie saupoudrée de sublimé corrosif : l’excès de l’acrimonie lui fit rejeter l’hostie[2].

Les moines alors l’accusèrent devant l’évêque de Lausanne d’un sacrilège horrible. Les Bernois, indignés, accusèrent eux-mêmes les moines ; quatre d’entre eux furent brûlés à Berne, le 31 mai 1509, à la porte de Marsilly.

C'est ainsi que finit cette abominable histoire, qui détermina enfin les Bernois à choisir une religion, mauvaise à la vérité à nos yeux catholiques, mais dans laquelle ils seraient délivrés des cordeliers et des jacobins.

La foule de semblables sacrilèges est incroyable. C'est à quoi l’esprit de parti conduit.

Les jésuites ont soutenu pendant cent ans que les jansénistes étaient des blasphémateurs, et l’ont prouvé par mille lettres de cachet. Les jansénistes ont répondu, par plus de quatre mille volumes, que c’étaient les jésuites qui blasphémaient. l’écrivain des Gazettes ecclésiastiques prétend que tous les honnêtes gens blasphèment contre lui ; et il blasphème du haut de son grenier contre tous les honnêtes gens du royaume. Le libraire du gazetier

  1. Voyez tome XII, la note 1 de la page 292.
  2. Voyez les Voyages de Burnet, évêque de Salisbury ; l’Histoire des dominicains de Berne, par Abraham Ruchat, professeur à Lausanne ; le Procès-verbal de la condamnation des dominicains : et l’Original du procès, conservé dans la bibliothèque de Berne. Le même fait est rapporté dans l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, chapitre CXXIX. Puisse-t-il être partout ! Personne ne le connaissait en France il y a vingt ans. (Note de Voltaire.)