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CAUSES FINALES.

lois. S’il est dans la nature, je n’y pense voir que de la matière en mouvement, et je dois en conclure que l’agent qui la meut est corporel et matériel, et que par conséquent il est sujet à se dissoudre. Si cet agent est hors de la nature, je n’ai plus aucune idée[1] du lieu qu’il occupe, ni d’un être immatériel, ni de la façon dont un esprit sans étendue peut agir sur la matière dont il est séparé. Ces espaces ignorés, que l’imagination a placés au delà du monde visible, n’existent point pour un être qui voit à peine à ses pieds[2] : la puissance idéale qui les habite ne peut se peindre à mon esprit que lorsque mon imagination combinera au hasard les couleurs fantastiques qu’elle est toujours forcée de prendre dans le monde où je suis ; dans ce cas je ne ferai que reproduire en idée ce que mes sens auront réellement aperçu ; et ce Dieu, que je m’efforce de distinguer de la nature et de placer hors de son enceinte, y rentrera toujours nécessairement et malgré moi.

« L’on insistera, et l’on dira que si l’on portait une statue ou une montre à un sauvage qui n’en aurait jamais vu, il ne pourrait s’empêcher de reconnaître que ces choses sont des ouvrages de quelque agent intelligent, plus habile et plus industrieux que lui-même : l’on conclura de là que nous sommes pareillement forcés de reconnaître que la machine de l’univers, que l’homme, que les phénomènes de la nature, sont des ouvrages d’un agent dont l’intelligence et le pouvoir surpassent de beaucoup les nôtres.

« Je réponds, en premier lieu, que nous ne pouvons douter que la nature ne soit très-puissante et très-industrieuse[3] ; nous admirons son industrie toutes les fois que nous sommes surpris des effets étendus, variés et compliqués que nous trouvons dans ceux de ses ouvrages que nous prenons la peine de méditer : cependant elle n’est ni plus ni moins industrieuse dans l’un de ses ouvrages que dans les autres. Nous ne comprenons pas plus comment elle a pu produire une pierre ou un métal qu’une tête organisée comme celle de Newton. Nous appelons industrieux un homme qui peut faire des choses que nous ne pouvons pas faire nous-mêmes. La nature peut tout ; et dès qu’une chose existe, c’est une preuve qu’elle a pu la faire. Ainsi ce n’est jamais que relativement à nous-mêmes que nous jugeons la nature indus-

  1. Êtes-vous fait pour avoir des idées de tout, et ne voyez-vous pas dans cette nature une intelligence admirable ? (Note de Voltaire.)
  2. Ou le monde est infini, ou l’espace est infini, choisissez. (Id.)
  3. Puissante et industrieuse : je m’en tiens là. Celui qui est assez puissant pour former l’homme et le monde est Dieu. Vous admettez Dieu malgré vous. (Id.)