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CAUSES FINALES.

continuelle ; l’accord des parties de ces mêmes animaux est une suite des lois nécessaires de leur nature et de leur combinaison ; dès que cet accord cesse, l’animal se détruit nécessairement. Que deviennent alors la sagesse, l’intelligence[1], ou la bonté de la cause prétendue à qui l’on faisait honneur d’un accord si vanté ? Ces animaux si merveilleux, que l’on dit être les ouvrages d’un Dieu immuable, ne s’altèrent-ils point sans cesse, et ne finissent-ils pas toujours par se détruire ? Où est la sagesse, la bonté, la prévoyance, l’immutabilité[2] d’un ouvrier qui ne paraît occupé qu’à déranger et briser les ressorts des machines qu’on nous annonce comme les chefs-d’œuvre de sa puissance et de son habileté ? Si ce Dieu ne peut faire autrement[3], il n’est ni libre ni tout-puissant. S’il change de volonté, il n’est point immuable. S’il permet que des machines qu’il a rendues sensibles éprouvent de la douleur, il manque de bonté[4]. S’il n’a pu rendre ses ouvrages plus solides, c’est qu’il a manqué d’habileté. En voyant que les animaux, ainsi que tous les autres ouvrages de la Divinité, se détruisent, nous ne pouvons nous empêcher d’en conclure, ou que tout ce que la nature fait est nécessaire, et n’est qu’une suite de ses lois, ou que l’ouvrier qui la fait agir est dépourvu de plan, de puissance, de constance, d’habileté, de bonté.

« L’homme, qui se regarde lui-même comme le chef-d’œuvre de la Divinité, nous fournirait plus que toute autre production la preuve de l’incapacité ou de la malice[5] de son auteur prétendu. Dans cet être sensible, intelligent, pensant, qui se croit l’objet constant de la prédilection divine, et qui fait son Dieu d’après son propre modèle, nous ne voyons qu’une machine plus mobile, plus frêle, plus sujette à se déranger par sa grande complication que celle des êtres les plus grossiers. Les bêtes dépourvues de nos connaissances, les plantes qui végètent, les pierres privées de sentiment, sont à bien des égards des êtres plus favorisés que l’homme ; ils sont au moins exempts des peines d’esprit, des tourments de la pensée, des chagrins dévorants, dont celui-ci est si souvent la proie. Qui est-ce qui ne voudrait point être un animal ou

  1. Y a-t-il moins d’intelligence, parce que les générations se succèdent ? (Note de Voltaire.)
  2. Il y a immutabilité de dessein quand vous voyez immutabilité d’effet. Voyez Dieu. (Id.)
  3. Être libre, c’est faire sa volonté. S’il l’opère, il est libre. (Id.)
  4. Voyez la Réponse dans les articles Athéisme et Dieu. (Id.)
  5. S’il est malin, il n’est point incapable ; et s’il est capable, ce qui comprend pouvoir et sagesse, il n’est pas malin. (Id.)