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AGE.

Sur ce principe, qui n’est que trop vrai, il est avantageux à un État bien administré, et qui a des fonds en réserve, de constituer beaucoup de rentes viagères. Des princes économes qui veulent enrichir leur famille y gagnent considérablement ; chaque année, la somme qu’ils ont à payer diminue.

Il n’en est pas de même dans un État obéré. Comme il paye un intérêt plus fort que l’intérêt ordinaire, il se trouve bientôt court : il est obligé de faire de nouveaux emprunts, c’est un cercle perpétuel de dettes et d’inquiétudes.

Les tontines, invention d’un usurier nommé Tontino, sont bien plus ruineuses. Nul soulagement pendant quatre-vingts ans au moins. Vous payez toutes les rentes au dernier survivant,

À la dernière tontine qu’on fit en France en 1759, une société de calculateurs prit une classe à elle seule ; elle choisit celle de quarante ans, parce qu’on donnait un denier plus fort pour cet âge que pour les âges depuis un an jusqu’à quarante, et qu’il y a presque autant de chances pour parvenir de quarante à quatre-vingts ans, que du berceau à quarante.

On donnait dix pour cent aux pontes âgés de quarante années, et le dernier vivant héritait de tous les morts. C’est un des plus mauvais marchés que l’État puisse faire[1].

  1. Il y avait des tontines en France, l’abbé Terrai en supprima les accroissements ; la crainte qu’il n’ait des imitateurs empêchera sans doute à l’avenir de se fier à cette espèce d’emprunt ; et son injustice aura du moins délivré la France d’une opération de finance si onéreuse. Les emprunts en rentes viagères ont de grands inconvénients. 1° Ce sont des annuités dont le terme est incertain ; l’État joue contre des particuliers ; mais ils savent mieux conduire leur jeu, ils choisissent des enfants mâles dans un pays où la vie moyenne est longue, les font inoculer, les attachent à leur patrie et à des métiers sains et non périlleux par une petite pension, et distribuent leurs fonds sur un certain nombre de ces têtes, 2° Comme il y a du risque à courir, les joueurs veulent jouer avec avantage, et par conséquent si l’intérêt commun d’une rente perpétuelle est cinq pour cent, il faut que celui qui représente la rente viagère soit au-dessus de cinq pour cent. En calculant à la rigueur la plupart des emprunts de ce genre faits depuis vingt ans, ce qui n’a encore été exécuté par personne, on serait étonné de la différence entre le taux de ces emprunts et le taux commun de l’intérêt de l’argent, 3° On est toujours le maître de changer par des remboursements réglés un emprunt en rentes perpétuelles à annuités à terme fixe : et l’on ne peut, sans injustice, rien changer aux rentes viagères une fois établies. 4° Les contrats de rentes perpétuelles, et surtout des annuités à terme fixe, sont une propriété toujours disponible qui se convertit en argent avec plus ou moins de perte, suivant le crédit du créancier. Les rentes viagères, à cause de leur incertitude, ne peuvent se vendre qu’à un prix beaucoup plus bas. C’est un désavantage qu’il faut compenser par une augmentation d’intérêts. Nous ne parlons point ici des effets que ces emprunts peuvent produire sur les mœurs, ils sont trop bien connus ; mais nous observerons qu’ils ne peuvent, lorsqu’ils sont considérables, être remplis qu’en supposant que les capitalistes y placent des fonds que, sans cela, ils auraient placés dans un commerce utile. Ce sont donc autant de capitaux perdus pour l’industrie : nouveau mal que produit cette manière d’emprunter. (K.)