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ADULTÈRE.

doyer en faveur des mariées, présenté à la junte du Portugal par une comtesse d’Arcira. En voici la substance :

L’Évangile a défendu l’adultère à mon mari tout comme à moi ; il sera damné comme moi, rien n’est plus avéré. Lorsqu’il m’a fait vingt infidélités, qu’il a donné mon collier à une de mes rivales, et mes boucles d’oreilles à une autre, je n’ai point demandé aux juges qu’on le fît raser, qu’on l’enfermât chez des moines, et qu’on me donnât son bien. Et moi, pour l’avoir imité une seule fois, pour avoir fait avec le plus beau jeune homme de Lisbonne ce qu’il fait tous les jours impunément avec les plus sottes guenons de la cour et de la ville, il faut que je réponde sur la sellette devant des licenciés, dont chacun serait à mes pieds si nous étions tête à tête dans mon cabinet ; il faut que l’huissier me coupe à l’audience mes cheveux, qui sont les plus beaux du monde ; qu’on m’enferme chez des religieuses, qui n’ont pas le sens commun ; qu’on me prive de ma dot et de mes conventions matrimoniales, qu’on donne tout mon bien à mon fat de mari pour l’aider à séduire d’autres femmes et à commettre de nouveaux adultères.

Je demande si la chose est juste, et s’il n’est pas évident que ce sont les cocus qui ont fait les lois.

On répond à mes plaintes que je suis trop heureuse de n’être pas lapidée à la porte de la ville par les chanoines, les habitués de paroisse, et tout le peuple. C’est ainsi qu’on en usait chez la première nation de la terre, la nation choisie, la nation chérie, la seule qui eût raison quand toutes les autres avaient tort.

Je réponds à ces barbares que lorsque la pauvre femme adultère fut présentée par ses accusateurs au maître de l’ancienne et de la nouvelle loi, il ne la fit point lapider ; qu’au contraire il leur reprocha leur injustice, qu’il se moqua d’eux en écrivant sur la terre avec le doigt, qu’il leur cita l’ancien proverbe hébraïque : « Que celui de vous qui est sans péché jette la première pierre[1] » ; qu’alors ils se retirèrent tous, les plus vieux fuyant les premiers, parce que plus ils avaient d’âge plus ils avaient commis d’adultères.

Les docteurs en droit canon me répliquent que cette histoire de la femme adultère n’est racontée que dans l’Évangile de saint Jean, qu’elle n’y a été insérée qu’après coup. Leontius, Maldonat, assurent qu’elle ne se trouve que dans un seul ancien exemplaire grec ; qu’aucun des vingt-trois premiers commentateurs n’en a

  1. Jean, VIII, 87.