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ADORER.

Voilà la divinité romaine qu’on a prise pendant tant de siècles pour Simon le Magicien. Saint Cyrille de Jérusalem n’en doutait pas, et saint Augustin, dans son premier livre des Hérésies, dit que Simon le Magicien lui-même se fit élever cette statue avec celle de son Hélène, par ordre de l’empereur et du sénat.

Cette étrange fable, dont la fausseté était si aisée à reconnaître, fut continuellement liée avec cette autre fable, que saint Pierre et ce Simon avaient tous deux comparu devant Néron ; qu’ils s’étaient défiés à qui ressusciterait le plus promptement un mort proche parent de Néron même, et à qui s’élèverait le plus haut dans les airs ; que Simon se fit enlever par des diables dans un chariot de feu ; que saint Pierre et saint Paul le firent tomber des airs par leurs prières, qu’il se cassa les jambes, qu’il en mourut, et que Néron irrité fit mourir saint Paul et saint Pierre[1].

Abdias, Marcel, Hégésippe, ont rapporté ce conte avec des détails un peu différents ; Arnobe, saint Cyrille de Jérusalem, Sévère-Sulpice, Philastre, saint Épiphane, Isidore de Damiette, Maxime de Turin, plusieurs autres auteurs, ont donné cours successivement à cette erreur. Elle a été généralement adoptée, jusqu’à ce qu’enfin on ait trouvé dans Rome une statue de Semo sancus deus fidius, et que le savant P. Mabillon ait déterré un de ces anciens monuments avec cette inscription : Semoni sanco deo fidio.

Cependant il est certain qu’il y eut un Simon que les Juifs crurent magicien, comme il est certain qu’il y a eu un Apollonius de Tyane. Il est vrai encore que ce Simon, né dans le petit pays de Samarie, ramassa quelques gueux auxquels il persuada qu’il était envoyé de Dieu, et la vertu de Dieu même. Il baptisait ainsi que les apôtres baptisaient, et il élevait autel contre autel.

Les Juifs de Samarie, toujours ennemis des Juifs de Jérusalem, osèrent opposer ce Simon à Jésus-Christ reconnu par les apôtres, par les disciples, qui tous étaient de la tribu de Benjamin ou de celle de Juda. Il baptisait comme eux ; mais il ajoutait le feu au baptême d’eau, et se disait prédit par saint Jean-Baptiste selon ces paroles[2] : « Celui qui doit venir après moi est plus puissant que moi, il vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu. »

Simon allumait par-dessus le bain baptismal une flamme légère avec du naphte du lac Asphaltide. Son parti fut assez grand ; mais il est fort douteux que ses disciples l’aient adoré : saint Justin est le seul qui le croie.

  1. Voyez l’article Pierre (saint).
  2. Matthieu, chapitre III, v. 11. (Note de Voltaire.)