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ADORER.

sions présentaient aux Juifs un Dieu trop corporel. C’est peut-être parce qu’il est dit que Dieu ôta une côte à Adam pour en former la femme, et que les jeunes gens inconsidérés qui se seraient tâté les côtes, voyant qu’il ne leur en manquait point, auraient pu soupçonner l’auteur de quelque infidélité. C’est peut-être parce que Dieu, qui se promenait toujours à midi dans le jardin d’Éden, se moque d’Adam après sa chute, et que ce ton railleur aurait trop inspiré à la jeunesse le goût de la plaisanterie. Enfin chaque ligne de ce chapitre fournit des raisons très plausibles d’en interdire la lecture ; mais sur ce pied-là, on ne voit pas trop comment les autres chapitres étaient permis. C’est encore une chose surprenante, que les Juifs ne dussent lire ce chapitre qu’à vingt-cinq ans. Il semble qu’il devait être proposé d’abord à l’enfance, qui reçoit tout sans examen, plutôt qu’à la jeunesse, qui se pique déjà de juger et de rire. Il se peut faire aussi que les Juifs de vingt-cinq ans, étant déjà préparés et affermis, en recevaient mieux ce chapitre, dont la lecture aurait pu révolter des âmes toutes neuves.

On ne parlera pas ici de la seconde femme d’Adam, nommée Lillith, que les anciens rabbins lui ont donnée ; il faut convenir qu’on sait très peu d’anecdotes de sa famille.


ADORER[1].

Culte de Latrie. Chanson attribuée à Jésus-Christ.
Danse sacrée. Cérémonies.


N’est-ce pas un grand défaut dans quelques langues modernes, qu’on se serve du même mot envers l’Être suprême et une fille ? On sort quelquefois d’un sermon où le prédicateur n’a parlé que d’adorer Dieu en esprit et en vérité. De là on court à l’Opéra, où il n’est question que « du charmant objet que j’adore, et des aimables traits dont ce héros adore les attraits ».

Du moins les Grecs et les Romains ne tombèrent point dans cette profanation extravagante. Horace ne dit point qu’il adore Lalagé. Tibulle n’adore point Délie. Ce terme même d’adoration n’est pas dans Pétrone.

Si quelque chose peut excuser notre indécence, c’est que dans

  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)