Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
ADAM.

suite des temps ; mais nul peuple ancien ne convenait que cet Abraham ou Ibrahim fût la tige du peuple juif.

Tels sont les secrets de la Providence, que le père et la mère du genre humain furent toujours ignorés du genre humain, au point que les noms d’Adam et d’Ève ne se trouvent dans aucun ancien auteur, ni de la Grèce, ni de Rome, ni de la Perse, ni de la Syrie, ni chez les Arabes même, jusque vers le temps de Mahomet, Dieu daigna permettre que les titres de la grande famille du monde ne fussent conservés que chez la plus petite et la plus malheureuse partie de la famille.

Comment se peut-il faire qu’Adam et Ève aient été inconnus à tous leurs enfants ? Comment ne se trouva-t-il ni en Égypte, ni à Babylone, aucune trace, aucune tradition de nos premiers pères ? Pourquoi ni Orphée, ni Linus, ni Thamyris, n’en parlèrent-ils point ? car s’ils en avaient dit un mot, ce mot aurait été relevé sans doute par Hésiode, et surtout par Homère, qui parlent de tout, excepté des auteurs de la race humaine.

Clément d’Alexandrie, qui rapporte tant de témoignages de l’antiquité, n’aurait pas manqué de citer un passage dans lequel il aurait été fait mention d’Adam et d’Ève.

Eusèbe, dans son Histoire universelle, a recherché jusqu’aux témoignages les plus suspects ; il aurait bien fait valoir le moindre trait, la moindre vraisemblance, en faveur de nos premiers parents.

Il est dont avéré qu’ils furent toujours entièrement ignorés des nations.

On trouve à la vérité chez les brachmanes, dans le livre intitulé l’Èzour-Veidam le nom d’Adimo et celui de Procriti, sa femme[1]. Si Adimo ressemble un peu à notre Adam, les Indiens répondent : « Nous sommes un grand peuple établi vers l’Indus et vers le Gange, plusieurs siècles avant que la horde hébraïque se fût portée vers le Jourdain. Les Égyptiens, les Persans, les Arabes, venaient chercher dans notre pays la sagesse et les épiceries, quand les Juifs étaient inconnus au reste des hommes. Nous ne pouvons avoir pris notre Adimo de leur Adam. Notre Procriti ne ressemble point du tout à Ève, et d’ailleurs leur histoire est entièrement différente.

« De plus le Veidam, dont l’Ézour-Veidam est le commentaire, passe chez nous pour être d’une antiquité plus reculée que celle des livres juifs ; et ce Veidam est encore une nouvelle loi donnée

  1. Voyez tome XI, pages 17, 54, 192.