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ADAM.

temps où les livres juifs commencèrent à être connus dans Alexandrie, lorsqu’ils furent traduits en grec sous un des Ptolémées. Encore furent-ils très peu connus ; les gros livres étaient très rares et très chers ; et de plus, les Juifs de Jérusalem furent si en colère contre ceux d’Alexandrie, leur firent tant de reproches d’avoir traduit leur Bible en langue profane, leur dirent tant d’injures, et crièrent si haut au Seigneur, que les Juifs alexandrins cachèrent leur traduction autant qu’ils le purent. Elle fut si secrète qu’aucun auteur grec ou romain n’en parle jusqu’au temps de l’empereur Aurélien.

Or l’historien Josèphe avoue, dans sa réponse à Apion (livre Ier, chap. IV), que les Juifs n’avaient eu longtemps aucun commerce avec les autres nations. « Nous habitons, dit-il, un pays éloigné de la mer ; nous ne nous appliquons point au commerce ; nous ne communiquons point avec les autres peuples... Y a-t-il sujet de s’étonner que notre nation, habitant si loin de la mer et affectant de ne rien écrire, ait été si peu connue[1] ? »

On demandera ici comment Josèphe pouvait dire que sa nation affectait de ne rien écrire, lorsqu’elle avait vingt-deux livres canoniques, sans compter le Targum d’Onkelos. Mais il faut considérer que vingt-deux volumes très petits étaient fort peu de chose en comparaison de la multitude des livres conservés dans la bibliothèque d’Alexandrie, dont la moitié fut brûlée dans la guerre de César.

Il est constant que les Juifs avaient très peu écrit, très peu lu ; qu’ils étaient profondément ignorants en astronomie, en géométrie, en géographie, en physique ; qu’ils ne savaient rien de l’histoire des autres peuples, et qu’ils ne commencèrent enfin à s’instruire que dans Alexandrie. Leur langue était un mélange barbare d’ancien phénicien et de chaldéen corrompu. Elle était si pauvre qu’il leur manquait plusieurs modes dans la conjugaison de leurs verbes.

De plus, ne communiquant à aucun étranger leurs livres ni leurs titres, personne sur la terre, excepté eux, n’avait jamais entendu parler ni d’Adam, ni d’Ève, ni d’Abel, ni de Caïn, ni de Noé. Le seul Abraham fut connu des peuples orientaux dans la

  1. Les Juifs étaient très connus des Perses, puisqu’ils furent dispersés dans leur empire ; ensuite des Égyptiens, puisqu’ils firent tout le commerce d’Alexandrie ; des Romains, puisqu’ils avaient des synagogues à Rome. Mais étant au milieu des nations, ils en furent toujours séparés par leurs institutions. Ils ne mangeaient point avec les étrangers, et ne communiquèrent leurs livres que très tard. (Note de Voltaire.)