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ABRAHAM.

histoires qu’à leur Lévitique. Il n’y avait pas un seul iota de leur loi qu’ils ne crussent ; mais l’historique n’exigeait pas le même respect. Ils étaient pour ces anciens livres dans le cas des Anglais, qui admettaient les lois de saint Édouard, et qui ne croyaient pas tous absolument que saint Édouard guérît des écrouelles ; ils étaient dans le cas des Romains, qui, en obéissant à leurs premières lois, n’étaient pas obligés de croire au miracle du crible rempli d’eau, du vaisseau tiré au rivage par la ceinture d’une vestale, de la pierre coupée par un rasoir, etc. Voilà pourquoi Josèphe l’historien, très attaché à son culte, laisse à ses lecteurs la liberté de croire ce qu’ils voudront des anciens prodiges qu’il rapporte ; voilà pourquoi il était très permis aux Saducéens de ne pas croire aux anges, quoiqu’il soit si souvent parlé des anges dans l’Ancien Testament ; mais il n’était pas permis à ces Saducéens de négliger les fêtes, les cérémonies et les abstinences prescrites.

Cette partie de l’histoire d’Abraham, c’est-à-dire ses voyages chez les rois d’Égypte et de Phénicie, prouve qu’il y avait de grands royaumes déjà établis quand la nation juive existait dans une seule famille ; qu’il y avait déjà des lois, puisque sans elles un grand royaume ne peut subsister ; que par conséquent la loi de Moïse, qui est postérieure, ne peut être la première. Il n’est pas nécessaire qu’une loi soit la plus ancienne de toutes pour être divine, et Dieu est sans doute le maître des temps. Il est vrai qu’il paraîtrait plus conforme aux faibles lumières de notre raison que Dieu, ayant une loi à donner lui-même, l’eût donnée d’abord à tout le genre humain ; mais s’il est prouvé qu’il se soit conduit autrement, ce n’est pas à nous à l’interroger.

Le reste de l’histoire d’Abraham est sujet à de grandes difficultés. Dieu, qui lui apparaît souvent, et qui fait avec lui plusieurs traités, lui envoya un jour trois anges dans la vallée de Mambré ; le patriarche leur donne à manger du pain, un veau, du beurre et du lait. Les trois esprits dînent, et après le dîner on fait venir Sara, qui avait cuit le pain. L’un de ces anges, que le texte appelle le Seigneur, l’Éternel, promet à Sara que dans un an elle aura un fils. Sara, qui avait alors quatre-vingt-quatorze ans, et dont le mari était âgé de près de cent années[1], se mit à rire de la promesse : preuve qu’elle avouait sa décrépitude, preuve que, selon l’Écriture même, la nature humaine n’était pas alors fort

  1. Il devait même avoir alors cent quarante-trois ans, suivant quelques interprètes (voyez la première section). (K.)