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BIENS D’ÉGLISE.

a octroyé du sel, du bois, et autres choses ; mais ses officiers nous les dénient. » Ou bien : « Un tel curé, par son avarice et envie, nous veut empêcher la sépulture et la dernière volonté d’un qui est mort ces jours passés, tellement qu’il nous est force d’en venir à la cour. »

Il est vrai que ce dernier abus, dont retentissent tous les tribunaux de l’Église catholique romaine, n’est point déraciné.

Il en est un plus funeste encore, c’est celui d’avoir permis aux bénédictins, aux bernardins, aux chartreux même, d’avoir des mainmortables, des esclaves. On distingue sous leur domination, dans plusieurs provinces de France et en Allemagne :

Esclavage de la personne,

Esclavage des biens,

Esclavage de la personne et des biens.

[1] L’esclavage de la personne consiste dans l’incapacité de disposer de ses biens en faveur de ses enfants, s’ils n’ont pas toujours vécu avec leur père dans la même maison et à la même table. Alors tout appartient aux moines. Le bien d’un habitant du Mont-Jura, mis entre les mains d’un notaire de Paris, devient dans Paris même la proie de ceux qui originairement avaient embrassé la pauvreté évangélique au Mont-Jura. Le fils demande l’aumône à la porte de la maison que son père a bâtie, et les moines, bien loin de lui donner cette aumône, s’arrogent jusqu’au droit de ne point payer les créanciers du père, et de regarder comme nulles les dettes hypothéquées sur la maison dont ils s’emparent. La veuve se jette en vain à leurs pieds pour obtenir une partie de sa dot : cette dot, ces créances, ce bien paternel, tout appartient de droit divin aux moines. Les créanciers, la veuve, les enfants, tout meurt dans la mendicité.

L’esclavage réel est celui qui est affecté à une habitation. Quiconque vient occuper une maison dans l’empire de ces moines, et y demeure un an et un jour, devient leur serf pour jamais. Il est arrivé quelquefois qu’un négociant français, père de famille, attiré par ses affaires dans ce pays barbare, y ayant pris une maison à loyer pendant une année, et étant mort ensuite dans sa patrie, dans une autre province de France, sa veuve, ses enfants, ont été tout étonnés de voir des huissiers venir s’emparer de leurs meubles, avec des paréatis, les vendre au nom de saint Claude, et chasser une famille entière de la maison de son père.

  1. Cet alinéa et les deux suivants se retrouvent dans la requête Au roi en son conseil, avril 1770, pour les serfs du Mont-Jura. Voyez les Mélanges, année 1770. (B.)