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BIEN ET MAL, PHYSIQUE ET MORAL.

plaisirs et de la santé, on peut se rendre très-misérable si on se conduit mal. La Vertu eut la pomme.

La fable est très-ingénieuse ; elle le serait encore plus si Crantor avait dit que le souverain bien est l’assemblage des quatre rivales réunies, Vertu, Santé, Richesse, Volupté ; mais cette fable ne résout ni ne peut résoudre la question absurde du souverain bien. La vertu n’est pas un bien ; c’est un devoir : elle est d’un genre différent, d’un ordre supérieur. Elle n’a rien à voir aux sensations douloureuses ou agréables. Un homme vertueux avec la pierre et la goutte, sans appui, sans amis, privé du nécessaire, persécuté, enchaîné par un tyran voluptueux qui se porte bien, est très-malheureux ; et le persécuteur insolent qui caresse une nouvelle maîtresse sur son lit de pourpre est très-heureux. Dites que le sage persécuté est préférable à son indigne persécuteur ; dites que vous aimez l’un, et que vous détestez l’autre ; mais avouez que le sage dans les fers enrage. Si le sage n’en convient pas, il vous trompe, c’est un charlatan[1].



BIEN.


Du bien et du mal, physique et moral.


Voici une question des plus difficiles et des plus importantes. Il s’agit de toute la vie humaine. Il serait bien plus important de trouver un remède à nos maux, mais il n’y en a point, et nous sommes réduits à rechercher tristement leur origine. C’est sur cette origine qu’on dispute depuis Zoroastre, et qu’on a, selon les apparences, disputé avant lui. C’est pour expliquer ce mélange de bien et de mal qu’on a imaginé les deux principes, Oromase, l’auteur de la lumière, et Arimane, l’auteur des ténèbres ; la boîte de Pandore, les deux tonneaux de Jupiter, la pomme mangée par Ève, et tant d’autres systèmes. Le premier des dialecticiens, non pas le premier des philosophes, l’illustre Bayle, a fait assez voir comment il est difficile aux chrétiens qui admettent un seul Dieu, bon et juste, de répondre aux objections des manichéens qui reconnaissaient deux dieux, dont l’un est bon, et l’autre méchant.

Le fond du système des manichéens, tout ancien qu’il est, n’en était pas plus raisonnable. Il faudrait avoir établi des lemmes géométriques pour oser en venir à ce théorème : « Il y a deux

  1. Fin de l’article en 1764 et 1770. (B.)