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BIEN, SOUVERAIN BIEN.

son nom. Il cite de lui ces vers, qui ont tant de rapport à la formule des mystères[1] :

Lui seul il est parfait ; tout est sous son pouvoir.
Il voit tout l’univers, et nul ne peut le voir.

Nous n’avons plus rien ni de Musée, ni de Linus. Quelques petits passages de ces prédécesseurs d’Homère orneraient bien une bibliothèque.

Auguste avait formé la bibliothèque nommée Palatine. La statue d’Apollon y présidait. L’empereur l’orna des bustes des meilleurs auteurs. On voyait vingt-neuf grandes bibliothèques publiques à Rome. Il y a maintenant plus de quatre mille bibliothèques considérables en Europe. Choisissez ce qui vous convient, et tâchez de ne vous pas ennuyer[2].


BIEN, SOUVERAIN BIEN.


SECTION PREMIÈRE.


De la chimère du souverain bien[3].


Le bonheur est une idée abstraite composée de quelques sensations de plaisir. Platon, qui écrivait mieux qu’il ne raisonnait, imagina son monde arché-type, c’est-à-dire son monde original, ses idées générales du beau, du bien, de l’ordre, du juste, comme s’il y avait des êtres éternels appelés ordre, bien, beau, juste, dont dérivassent les faibles copies de ce qui nous paraît ici-bas juste, beau, et bon.

C’est donc d’après lui que les philosophes ont recherché le souverain bien, comme les chimistes cherchent la pierre philosophale ; mais le souverain bien n’existe pas plus que le souverain carré ou le souverain cramoisi : il y a des couleurs cramoisies, il y a des carrés ; mais il n’y a point d’être général qui s’appelle ainsi. Cette chimérique manière de raisonner a gâté longtemps la philosophie.

Les animaux ressentent du plaisir à faire toutes les fonctions auxquelles ils sont destinés. Le bonheur qu’on imagine serait une

  1. Strom., livre V. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez Livres. (Id.)
  3. Tel est le titre de cet article dans la Suite des Mélanges (4e partie), 1756. (B.)