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BIBLIOTHÈQUE.

et suspendue ; quand Josué arrête le soleil et la lune à midi ; quand Samson tue mille Philistins avec une mâchoire d’âne... Tout est miracle sans exception dans ces temps divins ; et nous avons le plus profond respect pour tous ces miracles, pour ce monde ancien qui n’est pas notre monde, pour cette nature qui n’est pas notre nature, pour un livre divin qui ne peut avoir rien d’humain.

Mais ce qui nous étonne, c’est la liberté que prend M. Kennicott d’appeler déistes et athées ceux qui, en révérant la Bible plus que lui, sont d’une autre opinion que lui. On ne croira jamais qu’un homme qui a de pareilles idées soit de l’Académie des inscriptions et médailles. Peut-être est-il de l’académie de Bedlam, la plus ancienne, la plus nombreuse de toutes, et dont les colonies s’étendent dans toute la terre.



BIBLIOTHÈQUE[1].


Une grande bibliothèque a cela de bon qu’elle effraye celui qui la regarde. Deux cent mille volumes découragent un homme tenté d’imprimer ; mais malheureusement il se dit bientôt à lui-même : On ne lit point tous ces livres-là, et on pourra me lire. Il se compare à la goutte d’eau qui se plaignait d’être confondue et ignorée dans l’Océan : un génie eut pitié d’elle ; il la fit avaler par une huître ; elle devint la plus belle perle de l’Orient, et fut le principal ornement du trône du Grand Mogol. Ceux qui ne sont que compilateurs, imitateurs, commentateurs, éplucheurs de phrases, critiques à la petite semaine, enfin ceux dont un génie n’a point eu pitié, resteront toujours gouttes d’eau.

Notre homme travaille donc au fond de son galetas avec l’espérance de devenir perle.

Il est vrai que, dans cette immense collection de livres, il y en a environ cent quatre-vingt-dix-neuf mille qu’on ne lira jamais, du moins de suite ; mais on peut avoir besoin d’en consulter quelques-uns une fois en sa vie. C’est un grand avantage pour quiconque veut s’instruire de trouver sous sa main dans le palais des rois le volume et la page qu’il cherche, sans qu’on le fasse attendre un moment. C’est une des plus nobles institutions. Il n’y a point eu de dépense plus magnifique et plus utile.

La bibliothèque publique du roi de France est la plus belle

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)