Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/581

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
561
BEKKER.

deaux, nommé de Lancre, imprimé en 1613, et adressée à monseigneur Sillery, chancelier de France, sans que monseigneur Sillery ait jamais pensé à éclairer ces infâmes magistrats. Il eût fallu commencer par éclairer le chancelier lui-même. Qu’était donc la France alors ? Une Saint-Barthélémy continuelle, depuis le massacre de Vassy jusqu’à l’assassinat du maréchal d’Ancre et de son innocente épouse.

Croirait-on bien qu’à Genève on fit brûler en 1652, du temps de ce même Bekker, une pauvre fille, nommée Michelle Chaudron, à qui on persuada qu’elle était sorcière ?

Voici la substance très-exacte de ce que porte le procès-verbal de cette sottise affreuse, qui n’est pas le dernier monument de cette espèce :

« Michelle ayant rencontré le diable en sortant de la ville, le diable lui donna un baiser, reçut son hommage, et imprima sur sa lèvre supérieure et à son téton droit la marque qu’il a coutume d’appliquer à toutes les personnes qu’il reconnaît pour ses favorites. Ce sceau du diable est un petit seing qui rend la peau insensible, comme l’affirment tous les jurisconsultes démonographes.

« Le diable ordonna à Michelle Chaudron d’ensorceler deux filles. Elle obéit à son seigneur ponctuellement. Les parents des filles l’accusèrent juridiquement de diablerie ; les filles furent interrogées et confrontées avec la coupable. Elles attestèrent qu’elles sentaient continuellement une fourmilière dans certaines parties de leurs corps, et qu’elles étaient possédées. On appela les médecins, ou du moins ceux qui passaient alors pour médecins. Ils visitèrent les filles ; ils cherchèrent sur le corps de Michelle le sceau du diable, que le procès-verbal appelle les marques sataniques. Ils y enfoncèrent une longue aiguille, ce qui était déjà une torture douloureuse. Il en sortit du sang, et Michelle fit connaître par ses cris que les marques sataniques ne rendent point insensible. Les juges, ne voyant pas de preuve complète que Michelle Chaudron fût sorcière, lui firent donner la question, qui produit infailliblement ces preuves : cette malheureuse, cédant à la violence des tourments, confessa enfin tout ce qu’on voulut.

« Les médecins cherchèrent encore la marque satanique. Ils la trouvèrent à un petit seing noir sur une de ses cuisses. Ils y enfoncèrent l’aiguille ; les tourments de la question avaient été si horribles que cette pauvre créature expirante sentit à peine l’aiguille ; elle ne cria point : ainsi le crime fut avéré ; mais