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ABRAHAM.

peut dire qu’étant dans un endroit moins inexpugnable que celui des trois cents Spartiates, ils y acquirent encore plus de gloire, en se défendant plus à découvert contre l’armée persane qui les tailla tous en pièces. Aussi dans le monument érigé depuis sur le champ de bataille, on fit mention de ces quatre mille victimes ; et l’on ne parle aujourd’hui que des trois cents.

Une action plus mémorable encore, et bien moins célébrée, est celle de cinquante Suisses qui mirent en déroute[1] à Morgarten toute l’armée de l’archiduc Léopold d’Autriche, composée de vingt mille hommes. Ils renversèrent seuls la cavalerie à coups de pierres du haut d’un rocher, et donnèrent le temps à quatorze cents Helvétiens de trois petits cantons de venir achever la défaite de l’armée[2].

Cette journée de Morgarten est plus belle que celle des Thermopyles, puisqu’il est plus beau de vaincre que d’être vaincu. Les Grecs étaient au nombre de dix mille bien armés, et il était impossible qu’ils eussent à faire à cent mille Perses dans un pays montagneux. Il est plus que probable qu’il n’y eut pas trente mille Perses qui combattirent ; mais ici quatorze cents Suisses défont une armée de vingt mille hommes, La proportion du petit nombre au grand augmente encore la proportion de la gloire… Où nous a conduits Abraham ?

Ces digressions amusent celui qui les fait, et quelquefois celui qui les lit. Tout le monde d’ailleurs est charmé de voir que les gros bataillons soient battus par les petits.


SECTION II[3].


Abraham est un de ces noms célèbres dans l’Asie mineure et dans l’Arabie, comme Thaut chez les Égyptiens, le premier Zoroastre dans la Perse, Hercule en Grèce, Orphée dans la Trace, Odin chez les nations septentrionales, et tant d’autres plus connus par leur célébrité que par une histoire bien avérée. Je ne parle ici que de l’histoire profane, car pour celle des Juifs, nos maîtres et nos ennemis, que nous croyons et que nous détestons, comme l’histoire de

  1. En 1315.
  2. Voyez Essai sur les Mœurs, chapitre XVII, tome XI, page 527.
  3. Cette deuxième section ressemble beaucoup au chapitre XVI de l’Introduction à l’Essai sur les Mœurs, tome XI, page 46. Mais il y a une telle différence dans les termes, que ce n’est pas un double emploi. La majeure partie formait l’article Abraham dans la première édition du Dictionnaire philosophique. (B.)