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BANQUEROUTE.

les temps les plus désastreux, arriva à la France au milieu de la paix et de l’abondance.

Tous les bons gouvernements sentent les avantages d’une banque d’État : cependant la France et l’Espagne n’en ont point ; c’est à ceux qui sont à la tête de ces royaumes d’en pénétrer la raison.



BANQUEROUTE[1].


On connaissait peu de banqueroutes en France avant le XVIe siècle. La grande raison, c’est qu’il n’y avait point de banquiers. Des Lombards, des juifs, prêtaient sur gages au denier dix : on commerçait argent comptant. Le change, les remises en pays étranger, étaient un secret ignoré de tous les juges.

Ce n’est pas que beaucoup de gens ne se ruinassent ; mais cela ne s’appelait point banqueroute ; on disait déconfiture : ce mot est plus doux à l’oreille. On se servait du mot de rompture dans la coutume du Boulonnais ; mais rompture ne sonne pas si bien.

Les banqueroutes nous viennent d’Italie, bancorotto, bancarotta, gambarotta e la giustizia non impicar[2]. Chaque négociant avait son banc dans la place du change ; et quand il avait mal fait ses affaires, qu’il se déclarait fallito, et qu’il abandonnait son bien à ses créanciers moyennant qu’il en retînt une bonne partie pour lui, il était libre et réputé très-galant homme. On n’avait rien à lui dire, son banc était cassé, banco rotto, banca rotta ; il pouvait même, dans certaines villes, garder tous ses biens et frustrer ses créanciers, pourvu qu’il s’assît le derrière nu sur une pierre en présence de tous les marchands. C’était une dérivation douce de l’ancien proverbe romain solvere aut in ære aut in cute, payer de son argent ou de sa peau. Mais cette coutume n’existe plus ; les créanciers ont préféré leur argent au derrière d’un banqueroutier.

En Angleterre et dans d’autres pays, on se déclare banqueroutier dans les gazettes. Les associés et les créanciers s’assemblent en vertu de cette nouvelle, qu’on lit dans les cafés, et ils s’arrangent comme ils peuvent.

Comme parmi les banqueroutes il y en a souvent de frauduleuses, il a fallu les punir. Si elles sont portées en justice, elles sont partout regardées comme un vol, et les coupables partout condamnés à des peines ignominieuses.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie. 1770. (B.)
  2. Boindin, Port de mer, scène v.