Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
ABRAHAM.

l’on peut compter la poussière de la terre, on pourra compter aussi vos descendants[1]. »

Nos critiques insistent, et disent qu’il n’y a pas aujourd’hui sur la surface de la terre quatre cent mille Juifs, quoiqu’ils aient toujours regardé le mariage comme un devoir sacré, et que leur plus grand objet ait été la population.

On répond à ces difficultés que l’Église, substituée à la synagogue, est la véritable race d’Abraham, et qu’en effet elle est très nombreuse.

Il est vrai qu’elle ne possède pas la Palestine, mais elle peut la posséder un jour, comme elle l’a déjà conquise du temps du pape Urbain II, dans la première croisade. En un mot, quand on regarde avec les yeux de la foi l’Ancien Testament comme une figure du Nouveau, tout est accompli ou le sera, et la faible raison doit se taire.

On fait encore des difficultés sur la victoire d’Abraham auprès de Sodome ; on dit qu’il n’est pas concevable qu’un étranger, qui venait faire paître ses troupeaux vers Sodome, ait battu, avec trois cent dix-huit gardeurs de bœufs et de moutons, « un roi de Perse, un roi de Pont, le roi de Babylone, et le roi des nations » ; et qu’il les ait poursuivis jusqu’à Damas, qui est à plus de cent milles de Sodome.

Cependant une telle victoire n’est point impossible ; on en voit des exemples dans ces temps héroïques ; le bras de Dieu n’était point raccourci. Voyez Gédéon, qui, avec trois cents hommes armés de trois cents cruches et de trois cents lampes, défait une armée entière. Voyez Samson, qui tue seul mille Philistins à coups de mâchoire d’âne.

Les histoires profanes fournissent même de pareils exemples. Trois cents Spartiates arrêtèrent un moment l’armée de Xerxès au pas des Thermopyles, Il est vrai qu’à l’exception d’un seul, qui s’enfuit, ils y furent tous tués avec leur roi Léonidas, que Xerxès eut la lâcheté de faire pendre, au lieu de lui ériger une statue qu’il méritait. Il est vrai encore que ces trois cents Lacédémoniens, qui gardaient un passage escarpé où deux hommes pouvaient à peine gravir à la fois, étaient soutenus par une armée de dix mille Grecs distribués dans des postes avantageux, au milieu des rochers d’Ossa et de Pélion ; et il faut encore bien remarquer qu’il y en avait quatre mille aux Thermopyles mêmes.

Ces quatre mille périrent après avoir longtemps combattu. On

  1. Genèse, chapitre xiii, v. 16. (Note de Voltaire.)