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BACON (ROGER).

bras au pouvoir des gémeaux, etc. Il prouve mêmes ces belles choses par l’expérience, et il loue beaucoup un grand astrologue de Paris, qui empêcha, dit-il, un médecin de mettre un emplâtre sur la jambe d’un malade parce que le soleil était alors dans le signe du verseau, et que le verseau est mortel pour les jambes sur lesquelles on applique des emplâtres.

C’est une opinion assez généralement répandue que notre Roger fut l’inventeur de la poudre à canon[1]. Il est certain que de son temps on était sur la voie de cette horrible découverte : car je remarque toujours que l’esprit d’invention est de tous les temps, et que les docteurs, les gens qui gouvernent les esprits et les corps, ont beau être d’une ignorance profonde, ont beau faire régner les plus insensés préjugés, ont beau n’avoir pas le sens commun, il se trouve toujours des hommes obscurs, des artistes animés d’un instinct supérieur, qui inventent des choses admirables, sur lesquelles ensuite les savants raisonnent.

Voici mot à mot ce fameux passage de Roger Bacon touchant la poudre à canon ; il se trouve dans son Opus majus, page 474, édition de Londres : « Le feu grégeois peut difficilement s’éteindre, car l’eau ne l’éteint pas. Et il y a de certains feux dont l’explosion fait tant de bruit que, si on les allumait subitement et de nuit, une ville et une armée ne pourraient le soutenir : les éclats de tonnerre ne pourraient leur être comparés. Il y en a qui effrayent tellement la vue que les éclairs des nues la troublent moins : on croit que c’est par de tels artifices que Gédéon jeta la terreur dans l’armée des Madianites. Et nous en avons une preuve dans ce jeu d’enfants qu’on fait par tout le monde. On enfonce du salpêtre avec force dans une petite balle de la grosseur d’un pouce ; on la fait crever avec un bruit si violent qu’il surpasse le rugissement du tonnerre, et il en sort une plus grande exhalaison de feu que celle de la foudre. » Il parait évidemment que Roger Bacon ne connaissait que cette expérience commune d’une petite boule pleine de salpêtre mise sur le feu. Il y a encore bien loin de là à la poudre à canon, dont Roger ne parle en aucun endroit, mais qui fut bientôt après inventée.

Une chose me surprend davantage, c’est qu’il ne connut pas la direction de l’aiguille aimantée, qui de son temps commençait à être connue en Italie ; mais, en récompense, il savait très-bien le secret de la baguette de coudrier, et beaucoup d’autres choses semblables, dont il traite dans sa Dignité de l’art expérimental.

  1. Voyez une note, tome XII, page 19.