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ABRAHAM.

coup de bœufs[1], de brebis, d’ânes et d’ânesses, de chameaux, de chevaux, de serviteurs et servantes ». Ces présents, qui sont considérables, prouvent que les pharaons étaient déjà d’assez grands rois. Le pays de l’Égypte était donc déjà très peuplé. Mais pour rendre la contrée habitable, pour y bâtir des villes, il avait fallu des travaux immenses, faire écouler dans une multitude de canaux les eaux du Nil, qui inondaient l’Égypte tous les ans, pendant quatre ou cinq mois, et qui croupissaient ensuite sur la terre ; il avait fallu élever ces villes vingt pieds au moins au-dessus de ces canaux. Des travaux si considérables semblaient demander quelques milliers de siècles.

Il n’y a guère que quatre cents ans entre le déluge et le temps où nous plaçons le voyage d’Abraham chez les Égyptiens. Ce peuple devait être bien ingénieux, et d’un travail bien infatigable, pour avoir, en si peu de temps, inventé les arts et toutes les sciences, dompté le Nil, et changé toute la face du pays. Probablement même plusieurs grandes pyramides étaient déjà bâties, puisqu’on voit, quelque temps après, que l’art d’embaumer les morts était perfectionné ; et les pyramides n’étaient que les tombeaux où l’on déposait les corps des princes avec les plus augustes cérémonies.

L’opinion de cette grande ancienneté des pyramides est d’autant plus vraisemblable que trois cents ans auparavant, c’est-à-dire cent années après l’époque hébraïque du déluge de Noé, les Asiatiques avaient bâti, dans les plaines de Sennaar, une tour qui devait aller jusqu’aux cieux. Saint Jérôme, dans son commentaire sur Isaïe, dit que cette tour avait déjà quatre mille pas de hauteur lorsque Dieu descendit pour détruire cet ouvrage.

Supposons que ces pas soient seulement de deux pieds et demi de roi, cela fait mille pieds ; par conséquent la lourde Babel était vingt fois plus haute que les pyramides d’Égypte, qui n’ont qu’environ cinq cents pieds. Or, quelle prodigieuse quantité d’instruments n’avait pas été nécessaire pour élever un tel édifice ! tous les arts devaient y avoir concouru en foule. Les commentateurs en concluent que les hommes de ce temps-là étaient incomparablement plus grands, plus forts, plus industrieux, que nos nations modernes.

C’est là ce que l’on peut remarquer à propos d’Abraham, touchant les arts et les sciences.

À l’égard de sa personne, il est vraisemblable qu’il fut un

  1. Genèse, xii, 16. (Note de Voltaire.)