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AUTEURS.

teux avilissement ; et jamais ils n’ont eu tant de noblesse dans l’esprit, excepté quelques malheureux qui se disent gens de lettres, dans le même sens que des barbouilleurs se vantent d’être de la profession de Raphael, et que le cocher de Vertamont était poëte.

Les préfaces sont un autre écueil. Le moi est haïssable, disait Pascal[1]. Parlez de vous le moins que vous pourrez, car vous devez savoir que l’amour-propre du lecteur est aussi grand que le vôtre. Il ne vous pardonnera jamais de vouloir le condamner à vous estimer. C’est à votre livre à parler pour lui, s’il parvient à être lu dans la foule.

« Les illustres suffrages dont ma pièce a été honorée devraient me dispenser de répondre à mes adversaires. Les applaudissements du public... » Rayez tout cela, croyez-moi ; vous n’avez point eu de suffrages illustres, votre pièce est oubliée pour jamais.

« Quelques censeurs ont prétendu qu’il y a un peu trop d’événements dans le troisième acte, et que la princesse découvre trop tard dans le quatrième les tendres sentiments de son cœur pour son amant ; à cela je réponds que... » Ne réponds point, mon ami, car personne n’a parlé ni ne parlera de ta princesse. Ta pièce est tombée parce qu’elle est ennuyeuse et écrite en vers plats et barbares ; ta préface est une prière pour les morts, mais elle ne les ressuscitera pas.

D’autres attestent l’Europe entière qu’on n’a pas entendu leur système sur les compossibles, sur les supralapsaires, sur la différence qu’on doit mettre entre les hérétiques macédoniens et les hérétiques valentiniens. Mais vraiment, je crois bien que personne ne t’entend, puisque personne ne te lit.

On est inondé de ces fratras et de ces continuelles répétitions, et des insipides romans qui copient de vieux romans, et de nouveaux systèmes fondés sur d’anciennes rêveries, et de petites historiettes prises dans des histoires générales.

Voulez-vous être auteur, voulez-vous faire un livre : songez qu’il doit être neuf et utile, ou du moins infiniment agréable.

Quoi ! du fond de votre province vous m’assassinerez de plus d’un in-quarto pour m’apprendre qu’un roi doit être juste, et que Trajan était plus vertueux que Caligula ! vous ferez imprimer vos sermons, qui ont endormi votre petite ville inconnue ! vous mettrez à contribution toutes nos histoires pour en extraire la vie d’un prince sur qui vous n’avez aucuns mémoires nouveaux !

Si vous avez écrit une histoire de votre temps, ne doutez pas

  1. Pensées, première partie, IX, 23.