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AUGUSTE OCTAVE.

succéder à un souverain affermi depuis vingt années, et qui avait des héritiers ; et il n’est nullement probable qu’Auguste l’eût fait consul immédiatement après la conspiration.

Si l’aventure de Cinna est vraie, Auguste ne pardonna que malgré lui, vaincu par les raisons ou par les importunités de Livie, qui avait pris sur lui un grand ascendant, et qui lui persuada, dit Sénèque, que le pardon lui serait plus utile que le châtiment. Ce ne fut donc que par politique qu’on le vit une fois exercer la clémence ; ce ne fut certainement point par générosité.

Comment peut-on tenir compte à un brigand enrichi et affermi, de jouir en paix du fruit de ses rapines, et de ne pas assassiner tous les jours les fils et les petits-fils des proscrits quand ils sont à genoux devant lui et qu’ils l’adorent ? Il fut un politique prudent, après avoir été un barbare ; mais il est à remarquer que la postérité ne lui donna jamais le nom de Vertueux comme à Titus, à Trajan, aux Antonins. Il s’introduisit même une coutume dans les compliments qu’on faisait aux empereurs à leur avénement : c’était de leur souhaiter d’être plus heureux qu’Auguste et meilleurs que Trajan.

Il est donc permis aujourd’hui de regarder Auguste comme un monstre adroit et heureux.

Louis Racine, fils du grand Racine, et héritier d’une partie de ses talents, semble s’oublier un peu quand il dit dans ses Réflexions sur la poésie, « qu’Horace et Virgile gâtèrent Auguste, qu’ils épuisèrent leur art pour empoisonner Auguste par leurs louanges ». Ces expressions pourraient faire croire que les éloges si bassement prodigués par ces deux grands poètes corrompirent le beau naturel de cet empereur. Mais Louis Racine savait très-bien qu’Auguste était un fort méchant homme, indifférent au crime et à la vertu, se servant également des horreurs de l’un et des apparences de l’autre, uniquement attentif à son seul intérêt, n’ensanglantant la terre et ne la pacifiant, n’employant les armes et les lois, la religion et les plaisirs, que pour être le maître, et sacrifiant tout à lui-même. Louis Racine fait voir seulement que Virgile et Horace eurent des âmes serviles.

Il a malheureusement trop raison quand il reproche à Corneille d’avoir dédié Cinna au financier Montauron, et d’avoir dit à ce receveur : « Ce que vous avez de commun avec Auguste, c’est surtout cette générosité avec laquelle.... » : car enfin, quoique Auguste ait été le plus méchant des citoyens romains, il faut convenir que le premier des empereurs, le maître, le pacificateur, le législateur de la terre alors connue, ne devait pas être