Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
479
ATOMES.

De là sont nés, Épicures nouveaux,
Ces plans fameux, ces systèmes si beaux,
Qui, dirigeant sur votre prud’homie
Du monde entier toute l’économie,
Vous ont appris que ce grand univers
N’est composé que d’un concours divers
De corps muets, d’insensibles atomes,
Qui, par leur choc, forment tous ces fantômes
Que détermine et conduit le hasard,
Sans que le ciel y prenne aucune part.

Où ce versificateur a-t-il trouvé « ces plans fameux d’Épicures nouveaux, qui dirigent sur leur prud’homie du monde entier toute l’économie » ? Où a-t-il vu « que ce grand univers est composé d’un concours divers de corps muets », tandis qu’il y en a tant qui retentissent et qui ont de la voix ? Où a-t-il vu « ces insensibles atomes qui forment des fantômes conduits par le hasard » ? C’est ne connaître ni son siècle, ni la philosophie, ni la poésie, ni sa langue, que de s’exprimer ainsi. Voilà un plaisant philosophe ! L’auteur des Épigrammes sur la sodomie et la bestialité devait-il écrire si magistralement et si mal sur des matières qu’il n’entendait point du tout, et accuser des philosophes d’un libertinage d’esprit qu’ils n’avaient point ?

Je reviens aux atomes. La seule question qu’on agite aujourd’hui consiste à savoir si l’auteur de la nature a formé des parties primordiales, incapables d’être divisées, pour servir d’éléments inaltérables ; ou si tout se divise continuellement, et se change en d’autres éléments. Le premier système semble rendre raison de tout, et le second de rien, du moins jusqu’à présent.

Si les premiers éléments des choses n’étaient pas indestructibles, il pourrait se trouver à la fin qu’un élément dévorât tous les autres, et les changeât en sa propre substance. C’est probablement ce qui fit imaginer à Empédocle que tout venait du feu, et que tout serait détruit par le feu.

On sait que Robert Boyle, à qui la physique eut tant d’obligations dans le siècle passé, fut trompé par la fausse expérience d’un chimiste qui lui fit croire qu’il avait changé de l’eau en terre. Il n’en était rien. Boerhaave, depuis, découvrit l’erreur par des expériences mieux faites ; mais avant qu’il l’eût découverte, Newton, abusé par Boyle, comme Boyle l’avait été par son chimiste, avait déjà pensé que les éléments pouvaient se changer les uns dans les autres, et c’est ce qui lui fit croire que le globe perdait toujours un peu de son humidité, et faisait des progrès en