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ATHÉISME.

César, l’ami de Catilina, voulant sauver la vie de son ami contre ce même Cicéron, ne lui objecte-t-il pas que ce n’est point punir un criminel que de le faire mourir, que la mort n’est rien, que c’est seulement la fin de nos maux, que c’est un moment plus heureux que fatal ? Cicéron et tout le sénat ne se rendent-ils pas à ces raisons ? Les vainqueurs et les législateurs de l’univers connu formaient donc visiblement une société d’hommes qui ne craignaient rien des dieux, qui étaient de véritables athées.

Bayle examine ensuite si l’idolâtrie est plus dangereuse que l’athéisme ; si c’est un crime plus grand de ne point croire à la Divinité que d’avoir d’elle des opinions indignes : il est en cela du sentiment de Plutarque ; il croit qu’il vaut mieux n’avoir nulle opinion qu’une mauvaise opinion[1] ; mais, n’en déplaise à Plutarque, il est évident qu’il valait infiniment mieux pour les Grecs de craindre Cérès, Neptune et Jupiter, que de ne rien craindre du tout. Il est clair que la sainteté des serments est nécessaire, et qu’on doit se fier davantage à ceux qui pensent qu’un faux serment sera puni qu’à ceux qui pensent qu’ils peuvent faire un faux serment avec impunité. Il est indubitable que, dans une ville policée, il est infiniment plus utile d’avoir une religion, même mauvaise, que n’en avoir point du tout.

Il paraît donc que Bayle devait plutôt examiner quel est le plus dangereux, du fanatisme ou de l’athéisme. Le fanatisme est certainement mille fois plus funeste, car l’athéisme n’inspire point de passion sanguinaire, mais le fanatisme en inspire ; l’athéisme ne s’oppose pas aux crimes, mais le fanatisme les fait commettre. Supposons, avec l’auteur du Commentarium rerum gallicarum, que le chancelier de L’Hospital fût athée : il n’a fait que de sages lois, et n’a conseillé que la modération et la concorde ; les fanatiques commirent les massacres de la Saint-Barthélemy. Hobbes passa pour un athée : il mena une vie tranquille et innocente ; les fanatiques de son temps inondèrent de sang l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande. Spinosa était non-seulement athée, mais il enseigna l’athéisme : ce ne fut pas lui assurément qui eut part à l’assassinat juridique de Barneveldt ; ce ne fut pas lui qui déchira les deux frères de Wit en morceaux, et qui les mangea sur le gril.

Les athées sont pour la plupart des savants hardis et égarés qui raisonnent mal, et qui, ne pouvant comprendre la création, l’origine du mal, et d’autres difficultés, ont recours à l’hypothèse de l’éternité des choses et de la nécessité.

  1. Voyez la note 5 de la page 461.