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ATHÉISME.

avec la même intrépidité que l’athéisme est la religion du gouvernement de la Chine.

Ils se sont assurément bien trompés sur le gouvernement chinois ; ils n’avaient qu’à lire les édits des empereurs de ce vaste pays, ils auraient vu que ces édits sont des sermons, et que partout il y est parlé de l’Être suprême, gouverneur, vengeur et rémunérateur.

Mais en même temps ils ne se sont pas moins trompés sur l’impossibilité d’une société d’athées ; et je ne sais comment M. Bayle a pu oublier un exemple frappant qui aurait pu rendre sa cause victorieuse.

En quoi une société d’athées paraît-elle impossible ? C’est qu’on juge que des hommes qui n’auraient pas de frein ne pourraient jamais vivre ensemble ; que les lois ne peuvent rien contre les crimes secrets ; qu’il faut un Dieu vengeur qui punisse dans ce monde-ci ou dans l’autre les méchants échappés à la justice humaine.

Les lois de Moïse, il est vrai, n’enseignaient point une vie à venir, ne menaçaient point de châtiments après la mort, n’enseignaient point aux premiers Juifs l’immortalité de l’âme ; mais les Juifs, loin d’être athées, loin de croire se soustraire à la vengeance divine, étaient les plus religieux de tous les hommes. Non-seulement ils croyaient l’existence d’un Dieu éternel, mais ils le croyaient toujours présent parmi eux ; ils tremblaient d’être punis dans eux-mêmes, dans leurs femmes, dans leurs enfants, dans leur postérité, jusqu’à la quatrième génération : ce frein était très-puissant.

Mais chez les Gentils, plusieurs sectes n’avaient aucun frein : les sceptiques doutaient de tout ; les académiciens suspendaient leur jugement sur tout ; les épicuriens étaient persuadés que la Divinité ne pouvait se mêler des affaires des hommes, et, dans le fond, ils n’admettaient aucune divinité, ils étaient convaincus que l’âme n’est point une substance, mais une faculté qui naît et qui périt avec le corps : par conséquent ils n’avaient aucun joug que celui de la morale et de l’honneur. Les sénateurs et les chevaliers romains étaient de véritables athées, car les dieux n’existaient pas pour des hommes qui ne craignaient et n’espéraient rien d’eux. Le sénat romain était donc réellement une assemblée d’athées du temps de César et de Cicéron.

Ce grand orateur, dans sa harangue pour Cluentius, dit à tout le sénat assemblé : « Quel mal lui fait la mort ? nous rejetons toutes les fables ineptes des enfers : qu’est-ce donc que la mort lui a ôté ? rien que le sentiment des douleurs. »