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ATHÉISME.

leur vie ? Un roi serait-il assez puissant pour payer douze prédicateurs d’athéisme ? Personne, avant le P. Mersenne, n’avait avancé une si énorme absurdité. Mais après lui on l’a répétée, on en a infecté les journaux, les dictionnaires historiques ; et le monde, qui aime l’extraordinaire, a cru cette fable sans examen.

Bayle lui-même, dans ses Pensées diverses, parle de Vanini comme d’un athée : il se sert de cet exemple pour appuyer son paradoxe qu’une société d’athées peut subsister ; il assure que Vanini était un homme de mœurs très-réglées, et qu’il fut le martyr de son opinion philosophique. Il se trompe également sur ces deux points. Le prêtre Vanini nous apprend dans ses Dialogues, faits à l’imitation d’Érasme, qu’il avait eu une maîtresse nommée Isabelle, n’était libre dans ses écrits comme dans sa conduite ; mais il n’était point athée.

Un siècle après sa mort, le savant La Croze, et celui qui a pris le nom de Philalète, ont voulu le justifier[1] ; mais comme personne ne s’intéresse à la mémoire d’un malheureux Napolitain, très-mauvais auteur, presque personne ne lit ces apologies.

Le jésuite Hardouin, plus savant que Garasse, et non moins téméraire, accuse d’athéisme, dans son livre intitulé Athei detecti, les Descartes, les Arnauld, les Pascal, les Nicole, les Malebranche[2] : heureusement ils n’ont pas eu le sort de Vanini.

SECTION IV.

[3] Disons un mot de la question de morale agitée par Bayle, savoir si une société d’athées pourrait subsister. Remarquons d’abord, sur cet article, quelle est l’énorme contradiction des hommes dans la dispute : ceux qui se sont élevés contre l’opinion de Bayle avec le plus d’emportement, ceux qui lui ont nié avec le plus d’injures la possibilité d’une société d’athées, ont soutenu depuis

  1. La Croze, dans le quatrième de ses Entretiens sur divers sujets, etc., 1711, in-12, ne justifie pas Vanini du reproche d’athéisme ; au contraire il l’appelle athée (pages 350, 359, 360, 374, 379) et méchant homme (page 363). L’auteur que Voltaire dit avoir pris le nom de Philalète est J.-Fr. Arpe, à qui l’on doit Apologia pro Julio Cæsare Vanino, 1712, in-8o, sur le frontispice duquel on lit : Cosmopoli, typis philaletheis. (B.)
  2. Les autres personnages que le P. Hardouin traite d’athées sont C. Jansénius, Ambroise Victor (c’est-à-dire André Martin), L. Thomassin, P. Quesnel, Ant. Legrand, et Sylvain Régis.
  3. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, l’article n’avait point de division, et au lieu des mots qui commencent la quatrième section, on lisait : De tous ces faits je passe à la question morale, etc. (B.)