Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
469
ATHÉISME.

par Apollon monté sur un quadrige : on l’appelle athée et il est contraint de fuir.

Aristote est accusé d’athéisme par un prêtre ; et, ne pouvant faire punir son accusateur, il se retire à Chalcis. Mais la mort de Socrate est ce que l’histoire de la Grèce a de plus odieux.

Aristophane (cet homme que les commentateurs admirent parce qu’il était Grec, ne songeant pas que Socrate était Grec aussi), Aristophane fut le premier qui accoutuma les Athéniens à regarder Socrate comme un athée.

Ce poëte comique, qui n’est ni comique ni poëte, n’aurait pas été admis parmi nous à donner ses farces à la foire Saint-Laurent ; il me paraît beaucoup plus bas et plus méprisable que Plutarque ne le dépeint. Voici ce que le sage Plutarque dit[1] de ce farceur : « Le langage d’Aristophane sent son misérable charlatan : ce sont les pointes les plus basses et les plus dégoûtantes ; il n’est pas même plaisant pour le peuple, et il est insupportable aux gens de jugement et d’honneur ; on ne peut souffrir son arrogance, et les gens de bien détestent sa malignité. »

C’est donc là, pour le dire en passant, le Tabarin que Mme  Dacier, admiratrice de Socrate, ose admirer : voilà l’homme qui prépara de loin le poison dont des juges infâmes firent périr l’homme le plus vertueux de la Grèce.

Les tanneurs, les cordonniers et les couturières d’Athènes, applaudirent à une farce dans laquelle on représentait Socrate élevé en l’air dans un panier, annonçant qu’il n’y avait point de Dieu, et se vantant d’avoir volé un manteau en enseignant la philosophie. Un peuple entier, dont le mauvais gouvernement autorisait de si infâmes licences, méritait bien ce qui lui est arrivé, de devenir l’esclave des Romains, et de l’être aujourd’hui des Turcs. Les Russes, que la Grèce aurait autrefois appelés barbares, et qui la protègent aujourd’hui, n’auraient ni empoisonné Socrate ni condamné à mort Alcibiade.

Franchissons tout l’espace des temps entre la république romaine et nous. Les Romains, bien plus sages que les Grecs, n’ont jamais persécuté aucun philosophe pour ses opinions. Il n’en est pas ainsi chez les peuples barbares qui ont succédé à l’empire romain. Dès que l’empereur Frédéric II a des querelles avec les papes, on l’accuse d’être athée, et d’être l’auteur du livre des Trois Imposteurs, conjointement avec son chancelier de Vineis.

  1. Comparaison d’Aristophane et de Ménandre.