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ATHÉE.

l’homme des règles du bien et du mal : il est clair que ceux-là ne doivent avoir que le nom de philosophes ;

Il y a ceux qui croient que Dieu a donné à l’homme une loi naturelle, et il est certain que ceux-là ont une religion, quoiqu’ils n’aient pas de culte extérieur. Ce sont, à l’égard de la religion chrétienne, des ennemis pacifiques qu’elle porte dans son sein, et qui renoncent à elle sans songer à la détruire.

Toutes les autres sectes veulent dominer ; chacune est comme les corps politiques qui veulent se nourrir de la substance des autres, et s’élever sur leur ruine : le théisme seul a toujours été tranquille. On n’a jamais vu de théistes qui aient cabale dans aucun État.

Il y a eu à Londres une société de théistes qui s’assemblèrent pendant quelque temps auprès du temple Voer ; ils avaient un petit livre de leurs lois ; la religion sur laquelle on a composé ailleurs tant de gros volumes ne contenait pas deux pages de ce livre. Leur principal axiome était ce principe : La morale est la même chez tous les hommes, donc elle vient de Dieu ; le culte est différent, donc il est l’ouvrage des hommes.

Le second axiome était que, les hommes étant tous frères et reconnaissant le même Dieu, il est exécrable que des frères persécutent leurs frères parce qu’ils témoignent leur amour au père de famille d’une manière différente. En effet, disaient-ils, quel est l’honnête homme qui ira tuer son frère aîné ou son frère cadet, parce que l’un aura salué leur père commun à la chinoise, et l’autre à la hollandaise, surtout dès qu’il ne sera pas bien décidé dans la famille de quelle manière le père veut qu’on lui fasse la révérence ? il paraît que celui qui en userait ainsi serait plutôt un mauvais frère qu’un bon fils.

Je sais bien que ces maximes mènent tout droit au « dogme abominable et exécrable de la tolérance » ; aussi je ne fais que rapporter simplement les choses. Je me donne bien de garde d’être controversiste. Il faut convenir cependant que si les différentes sectes qui ont déchiré les chrétiens avaient eu cette modération, la chrétienté aurait été troublée par moins de désordres, saccagée par moins de révolutions, et inondée par moins de sang.

Plaignons les théistes de combattre notre sainte révélation. Mais d’où vient que tant de calvinistes, de luthériens, d’anabaptistes, de nestoriens, d’ariens, de partisans de Rome, d’ennemis de Rome, ont été si sanguinaires, si barbares, et si malheureux, persécutants et persécutés ? c’est qu’ils étaient peuple. D’où vient que les théistes, même en se trompant, n’ont jamais fait de mal