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ASMODÉE.

à notre faiblesse, et daignant adopter le langage vulgaire, dit en figure que « les enfants de Dieu[1], voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour femmes celles qu’ils choisirent ».

Mais l’ange Raphaël, qui conduit le jeune Tobie, lui donne une raison plus digne de son ministère, et plus capable d’éclairer celui dont il est le guide. Il lui dit que les sept maris de Sara n’ont été livrés à la cruauté d’Asmodée que parce qu’ils l’avaient épousée uniquement pour leur plaisir, comme des chevaux et des mulets. « Il faut, dit-il[2], garder la continence avec elle pendant trois jours, et prier Dieu tous deux ensemble. »

Il semble qu’avec une telle instruction on n’ait plus besoin d’aucun autre secours pour chasser Asmodée ; mais Raphaël ajoute qu’il y faut le cœur d’un poisson, grillé sur des charbons ardents. Pourquoi donc n’a-t-on pas employé depuis ce secret infaillible pour chasser le diable du corps des filles ? Pourquoi les apôtres, envoyés exprès pour chasser les démons, n’ont-ils jamais mis le cœur d’un poisson sur le gril ? Pourquoi ne se servit-on pas de cet expédient dans l’affaire de Marthe Brossier, des religieuses de Loudun, des maîtresses d’Urbain Grandier, de La Cadière et du frère Girard, et de mille autres possédées, dans le temps qu’il y avait des possédées ?

Les Grecs et les Romains, qui connaissaient tant de philtres pour se faire aimer, en avaient aussi pour guérir l’amour ; ils employaient des herbes, des racines. L’agnus castus a été fort renommé ; les modernes en ont fait prendre à de jeunes religieuses, sur lesquelles il a eu peu d’effet. Il y a longtemps qu’Apollon se plaignait à Daphné que, tout médecin qu’il était, il n’avait point encore éprouvé de simple qui guérît de l’amour.

Hei mihi ! quod nullis amor est medicabilis herbis[3].
D’un incurable amour remèdes impuissants[4].

On se servait de fumée de soufre ; mais Ovide, qui était un grand maître, déclare que cette recette est inutile.

Nec fugiat vivo sulphure victus amor[5].
Le soufre, croyez-moi, ne chasse point l’amour.
  1. Genèse, chapitre vi, v. 2. (Note de Voltaire.)
  2. Chapitre VI, v. 16, 17 et 18. (Id.)
  3. Ovide, Métamorphoses, liv. I, v. 523, (Id.)
  4. Racine, Phèdre, acte Ier, scène iii.
  5. De Rem., Amor., v. 260. (Note de Voltaire.)