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ART DRAMATIQUE.

rier de France Regnard, qui fut joué en 1697 ; et il faut avouer qu’il n’y a eu que lui seul, après Molière, qui ait fait de bonnes comédies en vers. La seule pièce de caractère qu’on ait eue depuis lui a été le Glorieux, de Destouches, dans laquelle tous les personnages ont été généralement applaudis, excepté malheureusement celui du Glorieux, qui est le sujet de la pièce.

Rien n’étant si difficile que de faire rire les honnêtes gens, on se réduisit enfin à donner des comédies romanesques qui étaient moins la peinture fidèle des ridicules, que des essais de tragédies bourgeoises : ce fut une espèce bâtarde qui, n’étant ni comique ni tragique, manifestait l’impuissance de faire des tragédies et des comédies. Cette espèce cependant avait un mérite, celui d’intéresser, et dès qu’on intéresse, on est sûr du succès. Quelques auteurs joignirent aux talents que ce genre exige celui de semer leurs pièces de vers heureux. Voici comme ce genre s’introduisit.

Quelques personnes s’amusaient à jouer dans un château de petites comédies qui tenaient de ces farces qu’on appelle parades : on en fit une en l’année 1732, dont le principal personnage était le fils d’un négociant de Bordeaux, très-bonhomme, et marin fort grossier, lequel, croyant avoir perdu sa femme et son fils, venait se remarier à Paris, après un long voyage dans l’Inde.

Sa femme était une impertinente qui était venue faire la grande dame dans la capitale, manger une grande partie du bien acquis par son mari, et marier son fils à une demoiselle de condition. Le fils, beaucoup plus impertinent que la mère, se donnait des airs de seigneur ; et son plus grand air était de mépriser beaucoup sa femme, laquelle était un modèle de vertu et de raison. Cette jeune femme l’accablait de bons procédés sans se plaindre, payait ses dettes secrètement quand il avait joué et perdu sur sa parole, et lui faisait tenir de petits présents très-galants sous des noms supposés. Cette conduite rendait notre jeune homme encore plus fat ; le marin revenait à la fin de la pièce, et mettait ordre à tout[1].

Une actrice de Paris, fille de beaucoup d’esprit, nommée Mlle  Quinault, ayant vu cette farce, conçut qu’on en pourrait faire une comédie très-intéressante, et d’un genre tout nouveau pour les Français, en exposant sur le théâtre le contraste d’un jeune homme qui croirait en effet que c’est un ridicule d’aimer sa femme, et une épouse respectable qui forcerait enfin son mari à l’aimer publiquement. Elle pressa l’auteur d’en faire une

  1. La pièce dont il s’agit est celle qui est au tome Ier du Théâtre, année 1732, intitulée les Originaux, ou Monsieur du Cap-Vert.