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Clytemnestre.

Vos soins ont-ils tout préparé ?

Agamemnon.

Calchas est prêt, madame, et l’autel est paré ;
J’ai fait ce que m’ordonne un devoir légitime.

Clytemnestre.
Vous ne me parlez point, seigneur, de la victime.

(Acte IV, scène iii.)

Ces mots vous ne me parlez point de la victime ne sont pas assurément dans Euripide. On sait de quel sublime est le reste de la scène, non pas de ce sublime de déclamation, non pas de ce sublime de pensées recherchées ou d’expressions gigantesques, mais de ce qu’une mère au désespoir a de plus pénétrant et de plus terrible, de ce qu’une jeune princesse qui sent tout son malheur a de plus touchant et de plus noble ; après quoi Achille, dans une autre scène, déploie la fierté, l’indignation, les menaces d’un héros irrité, sans qu’Agamemnon perde rien de sa dignité : et c’était là le plus difficile.

Jamais Achille n’a été plus Achille que dans cette tragédie. Les étrangers ne pourront pas dire de lui ce qu’ils disent d’Hippolyte, de Xipharès, d’Antiochus, roi de Comagène, de Bajazet même ; ils les appellent monsieur Bajazet, monsieur Antiochus, monsieur Xipharès, monsieur Hippolyte ; et, je l’avoue, ils n’ont pas tort. Cette faiblesse de Racine est un tribut qu’il a payé aux mœurs de son temps, à la galanterie de la cour de Louis XIV, au goût des romans qui avaient infecté la nation, aux exemples mêmes de Corneille, qui ne composa jamais une tragédie sans y mettre de l’amour, et qui fit de cette passion le principal ressort de la tragédie de Polyeucte, confesseur et martyr, et de celle d’Attila, roi des Huns, et de sainte Théodore qu’on prostitue.

Ce n’est que depuis peu d’années qu’on a osé en France produire des tragédies profanes sans galanterie. La nation était si accoutumée à cette fadeur qu’au commencement du siècle où nous sommes on reçut avec applaudissement une Électre amoureuse, et une partie carrée de deux amants et de deux maîtresses dans le sujet le plus terrible de l’antiquité, tandis qu’on sifflait l’Électre de Longepierre, non-seulement parce qu’il y avait des déclamations à l’antique, mais parce qu’on n’y parlait point d’amour.

Du temps de Racine, et jusqu’à nos derniers temps, les personnages essentiels au théâtre étaient l’amoureux et l’amoureuse, comme à la Foire Arlequin et Colombine. Un acteur était reçu pour jouer tous les amoureux.