Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
410
ART DRAMATIQUE.

(ou faire la folle) pour vous égayer, pour vous plaire. Tout est noble dans la pièce française, mais d’une simplicité attendrissante ; et la scène finit par ces mots terribles : Vous y serez, ma fille. Sentence de mort après laquelle il ne faut plus rien dire.

On prétend que ce mot déchirant est dans Euripide, on le répète sans cesse. Non, il n’y est pas. Il faut se défaire enfin, dans un siècle tel que le nôtre, de cette maligne opiniâtreté à faire valoir toujours le théâtre ancien des Grecs aux dépens du théâtre français. Voici ce qui est dans Euripide.

Iphigénie.

Mon père, me ferez-vous habiter dans un autre séjour ? Ce qui veut dire : Me marierez-vous ailleurs ?

Agamemnon.

Laissez cela ; il ne convient pas à une fille de savoir ces choses.

Iphigénie.

Mon père, revenez au plus tôt après avoir achevé votre entreprise.

Agamemnon.

Il faut auparavant que je fassse un sacrifice.

Iphigénie.

Mais c’est un soin dont les prêtres doivent se charger.

Agamemnon.

Vous le saurez, puisque vous serez tout auprès, au lavoir.

Iphigénie.

Ferons-nous, mon père, un chœur autour de l’autel ?

Agamemnon.

Je te crois plus heureuse que moi, mais cela ne t’importe pas ; donne-moi un baiser triste et ta main, puisque tu dois être si longtemps absente de ton père. Ô quelle gorge ! quelles joues ! quels blonds cheveux ! que de douleur la ville des Phrygiens et Hélène me causent ! je ne veux plus parler, car je pleure trop en t’embrassant. Et vous, fille de Léda, excusez-moi si l’amour paternel m’attendrit trop, quand je dois donner ma fille à Achille.

Ensuite Agamemnon instruit Clytemnestre de la généalogie d’Achille, et Clytemnestre lui demande si les noces de Pélée et de Thétis se firent au fond de la mer.

Brumoy a déguisé autant qu’il l’a pu ce dialogue, comme il a falsifié presque toutes les pièces qu’il a traduites ; mais rendons justice à la vérité, et jugeons si ce morceau d’Euripide approche de celui de Racine.