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ABBAYE.

SECTION II[1].


Ceux qui fuient le monde sont sages ; ceux qui se consacrent à Dieu sont respectables. Peut-être le temps a-t-il corrompu une si sainte institution.

Aux thérapeutes juifs succédèrent les moines en Égypte, idiotai, monoi. Idiot ne signifiait alors que solitaire : ils firent bientôt corps ; ce qui est le contraire de solitaire, et qui n’est pas idiot dans l’acception ordinaire de ce terme. Chaque société de moines élut son supérieur : car tout se faisait à la pluralité des voix dans les premiers temps de l’Église. On cherchait à rentrer dans la liberté primitive de la nature humaine, en échappant par piété au tumulte et à l’esclavage inséparables des grands empires. Chaque société de moines choisit son père, son abba, son abbé, quoiqu’il soit dit dans l’Évangile[2] : « N’appelez personne votre père. »

Ni les abbés, ni les moines, ne furent prêtres dans les premiers siècles. Ils allaient par troupes entendre la messe au prochain village. Ces troupes devinrent considérables ; il y eut plus de cinquante mille moines, dit-on, dans l’Égypte.

Saint Basile, d’abord moine, puis évêque de Césarée en Cappadoce, fit un code pour tous les moines au IVe siècle. Cette règle de saint Basile fut reçue en Orient et en Occident. On ne connut plus que les moines de saint Basile ; ils furent partout riches ; ils se mêlèrent de toutes les affaires ; ils contribuèrent aux révolutions de l’empire.

On ne connaissait guère que cet ordre, lorsqu’au VIe siècle saint Benoît établit une puissance nouvelle au Mont-Cassin. Saint Grégoire le Grand assure dans ses Dialogues[3] que Dieu lui accorda un privilège spécial par lequel tous les bénédictins qui mourraient au Mont-Cassin seraient sauvés. En conséquence le pape Urbain II, par une bulle de 1092, déclara l’abbé du Mont-Cassin chef de tous les monastères du monde. Pascal II lui donna le titre d’abbé des abbés. Il s’intitule patriarche de la sainte religion[4], chancelier collatéral du royaume de Sicile, comte et gouverneur de la Campanie, prince de la paix, etc., etc., etc.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, première partie, 1770. (B.)
  2. Matth., xxiii, 9. (Note de Voltaire.)
  3. Livre II, chapitre viii. (Id.)
  4. Voyez page 20.