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ART DRAMATIQUE.


DU THÉÂTRE ESPAGNOL.


Les autos sacramentales ont déshonoré l’Espagne beaucoup plus longtemps que les Mystères de la Passion, les Actes des saints, nos Moralités, la Mère sotte, n’ont flétri la France. Ces autos sacramentales se représentaient encore à Madrid il y a très-peu d’années. Calderon en avait fait pour sa part plus de deux cents.

Une de ses plus fameuses pièces, imprimée à Valladolid sans date, et que j’ai sous mes yeux, est la Devocion de la missa. Les acteurs sont un roi de Cordoue mahométan, un ange chrétien, une fille de joie, deux soldats bouffons, et le diable. L’un de ces deux bouffons est un nommé Pascal Vivas, amoureux d’Aminte. Il a pour rival Lélio, soldat mahométan.

Le diable et Lélio veulent tuer Vivas, et croient en avoir bon marché parce qu’il est en péché mortel ; mais Pascal prend le parti de faire dire une messe sur le théâtre, et de la servir. Le diable perd alors toute sa puissance sur lui.

Pendant la messe, la bataille se donne, et le diable est tout étonné de voir Pascal au milieu du combat, dans le même temps qu’il sert la messe. « Oh ! oh ! dit-il, je sais bien qu’un corps ne peut se trouver en deux endroits à la fois, excepté dans le sacrement, auquel ce drôle a tant de dévotion. » Mais le diable ne savait pas que l’ange chrétien avait pris la figure du bon Pascal Vivas, et qu’il avait combattu pour lui pendant l’office divin.

Le roi de Cordoue est battu, comme on peut bien le croire ; Pascal épouse sa vivandière, et la pièce finit par l’éloge de la messe.

Partout ailleurs, un tel spectacle aurait été une profanation que l’Inquisition aurait cruellement punie ; mais en Espagne c’était une édification.

Dans un autre acte sacramental, Jésus-Christ en perruque carrée, et le diable en bonnet à deux cornes, disputent sur la controverse, se battent à coups de poing, et finissent par danser ensemble une sarabande.

Plusieurs pièces de ce genre finissent par ces mots : Ite, comedia est.

D’autres pièces, en très-grand nombre, ne sont point sacramentales ; ce sont des tragi-comédies, et même des tragédies : l’une est la Création du monde ; l’autre, les Cheveux d’Absalon. On a joué le Soleil soumis à l’homme, Dieu bon payeur, le Maître d’hôtel de Dieu, la Dévotion aux trépassés. Et toutes ces pièces sont intitulées la Famosa Comedia.