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ABBAYE.


ABBAYE.
SECTION PREMIÈRE[1].

C’est une communauté religieuse gouvernée par un abbé ou une abbesse.

Ce nom d’abbé, abbas en latin et en grec, abba en syrien et en chaldéen, vient de l’hébreu ab, qui veut dire père. Les docteurs juifs prenaient ce titre par orgueil ; c’est pourquoi Jésus disait à ses disciples[2] : « N’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’avez qu’un père, qui est dans les cieux. »

Quoique saint Jérôme se soit fort emporté contre les moines de son temps[3], qui, malgré la défense du Seigneur, donnaient ou recevaient le titre d’abbé, le sixième concile de Paris[4] décide que, si les abbés sont des pères spirituels, et s’ils engendrent au Seigneur des fils spirituels, c’est avec raison qu’on les appelle abbés.

D’après ce décret, si quelqu’un a mérité le titre d’abbé, c’est assurément saint Benoît, qui, l’an 529, fonda sur le Mont-Cassin, dans le royaume de Naples, sa règle si éminente en sagesse et en discrétion, et si grave, si claire, à l’égard du discours et du style. Ce sont les propres termes du pape saint Grégoire[5] qui ne manque pas de faire mention du privilège singulier dont Dieu daigna gratifier ce saint fondateur : c’est que tous les bénédictins qui meurent au Mont-Cassin sont sauvés. L’on ne doit donc pas être surpris que ces moines comptent seize mille saints canonisés de leur ordre. Les bénédictines prétendent même qu’elles sont averties de l’approche de leur mort par quelque bruit nocturne qu’elles appellent les coups de saint Benoît.

On peut bien croire que ce saint abbé ne s’était pas oublié lui-même en demandant à Dieu le salut de ses disciples. En conséquence, le samedi 21 mars 543, veille du dimanche de la Passion, qui fut le jour de sa mort, deux moines, dont l’un était

  1. Cette première section de l’article Abbaye n’existe dans aucune édition donnée du vivant de l’auteur, soit du Dictionnaire philosophique ou Raison par alphabet, soit des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  2. Matthieu, chapitre xxiii, v. 9. (Note de Voltaire.)
  3. Livre II, sur l’Épître aux Galates. (Id.)
  4. Livre I, chapitre xxxvii. (Id.)
  5. Dialogue, livre II, chapitre viii. (Id.)