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ARIANISME.

thène, Archimède, s’ils avaient été témoins de ces subtils ergotismes qui ont coûté tant de sang ?

Arius a l’honneur encore aujourd’hui de passer pour avoir inventé son opinion, comme Calvin passe pour être fondateur du calvinisme. La vanité d’être chef de secte est la seconde de toutes les vanités de ce monde : car celle des conquérants est, dit-on, la première. Cependant ni Calvin ni Arius n’ont certainement pas la triste gloire de l’invention.

On se querellait depuis longtemps sur la Trinité, lorsque Arius se mêla de la querelle dans la disputeuse ville d’Alexandrie, où Euclide n’avait pu parvenir à rendre les esprits tranquilles et justes. Il n’y eut jamais de peuple plus frivole que les Alexandrins : les Parisiens mêmes n’en approchent pas.

Il fallait bien qu’on disputât déjà vivement sur la Trinité, puisque le patriarche auteur de la Chronique d’Alexandrie, conservée à Oxford, assure qu’il y avait deux mille prêtres qui soutenaient le parti qu’Arius embrassa.

Mettons ici, pour la commodité du lecteur, ce qu’on dit d’Arius dans un petit livre qu’on peut n’avoir pas sous la main[1].

« Voici une question incompréhensible qui a exercé depuis plus de seize cents ans la curiosité, la subtilité sophistique, l’aigreur, l’esprit de cabale, la fureur de dominer, la rage de persécuter, le fanatisme aveugle et sanguinaire, la crédulité barbare, et qui a produit plus d’horreurs que l’ambition des princes, qui pourtant en a produit beaucoup. Jésus est-il verbe ? S’il est verbe, est-il émané de Dieu dans le temps ou avant le temps ? s’il est émané de Dieu, est-il coéternel et consubstantiel avec lui, ou est-il d’une substance semblable ? est-il distinct de lui, ou ne l’est-il pas ? est-il fait, ou engendré ? Peut-il engendrer à son tour ? a-t-il la paternité, ou la vertu productive sans paternité ? Le Saint-Esprit est-il fait ou engendré, ou produit, ou procédant du Père, ou procédant du Fils, ou procédant de tous les deux ? Peut-il engendrer, peut-il produire ? son hypostase est-elle consubstantielle avec l’hypostase du Père et du Fils ? et comment, ayant précisément la même nature, la même essence que le Père et le Fils, peut-il ne pas faire les mêmes choses que ces deux personnes qui sont lui-même ?

« Ces questions, si au-dessus de la raison, avaient certainement besoin d’être décidées par une Église infaillible.

  1. Dans l’édition de 1767 du Dictionnaire philosophique. Voltaire avait mis un article Arius, qui se composait des neuf alinéas qui suivent. (B.)