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ARBRE À PAIN.

L’arbre à pain est plus gros et plus élevé que nos pommiers ordinaires ; les feuilles sont noires, le fruit est jaune, et de la dimension de la plus grosse pomme de calville ; son écorce est épaisse et dure, le dedans est une espèce de pâte blanche et tendre qui a le goût des meilleurs petits pains au lait ; mais il faut le manger frais ; il ne se garde que vingt-quatre heures, après quoi il se sèche, s’aigrit, et devient désagréable ; mais en récompense ces arbres en sont chargés huit mois de l’année. Les naturels du pays n’ont point d’autre nourriture ; ils sont tous grands, robustes, bien faits, d’un embonpoint médiocre ; d’une santé vigoureuse, telle que la doit procurer l’usage unique d’un aliment salubre, et c’est à des nègres que la nature a fait ce présent.

Le voyageur Dampierre fut le premier qui en parla. Il reste encore quelques officiers qui ont mangé de ce pain quand l’amiral Anson y a relâché, et qui l’ont trouvé d’un goût supérieur. Si cet arbre était transplanté comme l’a été l’arbre à café, il pourrait tenir lieu en grande partie de l’invention de Triptolème, qui coûte tant de soins et de peines multipliées. Il faut travailler une année entière avant que le blé puisse être changé en pain, et quelquefois tous ces travaux sont inutiles.

Le blé n’est pas assurément la nourriture de la plus grande partie du monde. Le maïs, la cassave, nourrissent toute l’Amérique. Nous avons des provinces entières où les paysans ne mangent que du pain de châtaignes, plus nourrisant et d’un meilleur goût que celui de seigle ou d’orge dont tant de gens s’alimentent, et qui vaut beaucoup mieux que le pain de munition qu’on donne au soldat[1]. Toute l’Afrique australe ignore le pain. L’immense archipel des Indes, Siam, le Laos, le Pégu, la Cochinchine, le Tunquin, une partie de la Chine, le Japon, les côtes de Malabar et de Coromandel, les bords du Gange, fournissent un riz dont la culture est beaucoup plus aisée que celle du froment, et qui le fait négliger. Le blé est absolument inconnu dans l’espace de quinze cents lieues sur les côtes de la mer Glaciale. Cette nourriture, à laquelle nous sommes accoutumés, est parmi nous si précieuse que la crainte seule de la voir manquer cause des séditions chez les peuples les plus soumis. Le commerce du blé est partout un des grands objets du gouvernement ; c’est une partie de notre

  1. En France, une société de physiciens éclairés s’occupe depuis quelques années à perfectionner l’art de fabriquer le pain : grâce à ses soins, celui des hôpitaux et de la plupart des prisons de Paris est devenu meilleur que celui dont se nourrissent les habitants aisés de la plupart des provinces. (K.)