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ARBRE À PAIN.


Dans cette fable il y a probablement quelque chose d’historique. Le Pont-Euxin franchit ses bornes, et inonda quelques terrains. Le roi de Chaldée courut réparer le désordre. Nous avons dans Rabelais des contes non moins ridicules, fondés sur quelques vérités. Les anciens historiens sont pour la plupart des Rabelais sérieux.

Quant à la montagne d’Ararat, on a prétendu qu’elle était une des montagnes de la Phrygie, et qu’elle s’appelait d’un nom qui répond à celui d’arche, parce qu’elle était enfermée par trois rivières.

Il y a trente opinions sur cette montagne. Comment démêler le vrai ? Celle que les moines arméniens appellent aujourd’hui Ararat était, selon eux, une des bornes du paradis terrestre, paradis dont il reste peu de traces. C’est un amas de rochers et de précipices couverts d’une neige éternelle. Tournefort y alla chercher des plantes par ordre de Louis XIV ; il dit que « tous les environs en sont horribles, et la montagne encore plus ; qu’il trouva des neiges de quatre pieds d’épaisseur, et toutes cristallisées ; que de tous les côtés il y a des précipices taillés à plomb ».

Le voyageur Jean Struys prétend y avoir été aussi. Il monta, si on l’en croit, jusqu’au sommet, pour guérir un ermite affligé d’une descente[1]. « Son ermitage, dit-il, était si éloigné de terre, que nous n’y arrivâmes qu’au bout de sept jours, et chaque jour nous faisions cinq lieues. » Si dans ce voyage il avait toujours monté, ce mont Ararat serait haut de trente-cinq lieues. Du temps de la guerre des géants, en mettant quelques Ararats l’un sur l’autre, on aurait été à la lune fort commodément. Jean Struys assure encore que l’ermite qu’il guérit lui fit présent d’une croix faite du bois de l’arche de Noé ; Tournefort n’a pas eu tant d’avantage.


ARBRE À PAIN[2].


L’arbre à pain croît dans les îles Philippines, et principalement dans celles de Gaam et de Ténian, comme le coco croît dans l’Inde. Ces deux arbres seuls, s’ils pouvaient se multiplier dans les autres climats, serviraient à nourrir et à désaltérer le genre humain.

  1. Voyage de Jean Struys, in-4o, page 208. (Note de Voltaire.)
  2. Questions sur l’Encyclopédie, seconde partie, 1770. (B.