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APÔTRES.

Il la fait tomber dans le piège en lui disant : « Femme, dites-moi combien vous avez vendu votre champ. » La femme répond comme son mari. Il est étonnant qu’en arrivant sur le lieu elle n’ait pas su la mort de son époux ; que personne ne l’en ait avertie ; qu’elle n’ait pas vu dans l’assemblée l’effroi et le tumulte qu’une telle mort devait causer, et surtout la crainte mortelle que la justice n’accourût pour informer de cette mort comme d’un meurtre. Il est étrange que cette femme n’ait pas rempli la maison de ses cris, et qu’on l’ait interrogée paisiblement comme dans un tribunal sévère, où les huissiers contiennent tout le monde dans le silence. Il est encore plus étonnant que saint Pierre lui ait dit : « Femme, vois-tu les pieds de ceux qui ont porté ton mari en terre ? ils vont t’y porter. » Et dans l’instant la sentence est exécutée. Rien ne ressemble plus à l’audience criminelle d’un juge despotique.

Mais il faut considérer que saint Pierre n’est ici que l’organe de Jésus-Christ et du Saint-Esprit ; que c’est à eux qu’Ananias et sa femme ont menti, et que ce sont eux qui les punissent par une mort subite ; que c’est même un miracle fait pour effrayer tous ceux qui, en donnant leur bien à l’Église, et qui, en disant qu’ils ont tout donné, retiendront quelque chose pour des usages profanes. Le judicieux dom Calmet fait voir combien les Pères et les commentateurs diffèrent sur le salut de ces deux premiers chrétiens, dont le péché consistait dans une simple réticence, mais coupable.

Quoi qu’il en soit, il est certain que les apôtres n’avaient aucune juridiction, aucune puissance, aucune autorité que celle de la persuasion, qui est la première de toutes, et sur laquelle toutes les autres sont fondées.

D’ailleurs il paraît par cette histoire même que les chrétiens vivaient en commun.

Quand ils étaient assemblés deux ou trois, Jésus-Christ était au milieu d’eux. Ils pouvaient tous recevoir également l’Esprit. Jésus était leur véritable, leur seul supérieur ; il leur avait dit[1] : « N’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’avez qu’un père, qui est dans le ciel. Ne désirez point qu’on vous appelle maîtres, parce que vous n’avez qu’un seul maître, et que vous êtes tous frères ; ni qu’on vous appelle docteurs, car votre seul docteur est Jésus[2]. »

Il n’y avait du temps des apôtres aucun rite, point de liturgie,

  1. Matthieu, chapitre xxiii, vers. 8, 9 et 10. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez l’article Église.