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APOSTAT.

que de larges quartiers de pierre aient vomi des tourbillons de feu ! ne faut-il pas placer ce conte parmi tous ceux de l’antiquité ?

3° Si ce prodige, ou si un tremblement de terre, qui n’est pas un prodige, était effectivement arrivé, l’empereur Julien n’en aurait-il pas parlé dans la lettre où il dit qu’il a eu intention de rebâtir ce temple ? N’aurait-on pas triomphé de son témoignage ? N’est-il pas au contraire infiniment probable qu’il changea d’avis ? Cette lettre ne contient-elle pas ces mots : « Que diront les Juifs de leur temple, qui a été détruit trois fois et qui n’est point encore rebâti ? Ce n’est point un reproche que je leur fais, puisque j’ai voulu moi-même relever ses ruines ; je n’en parle que pour montrer l’extravagance de leurs prophètes, qui trompaient de vieilles femmes imbéciles. — Quid de templo suo dicent, quod, quum tertio sit eversum, nondum ad hodiernam usque diem instauratur ? Hæc ego, non ut illis exprobrarem, in medium adduxi, ut pote qui templum illud tanto intervallo a ruinis excitare voluerim ; sed ideo commemoravi, ut ostenderem delirasse prophetas istos quibus cum stolidis aniculis negotium erat. »

N’est-il pas évident que l’empereur ayant fait attention aux prophéties juives, que le temple serait rebâti plus beau que jamais, et que toutes les nations y viendraient adorer, crut devoir révoquer la permission de relever cet édifice ? La probabilité historique serait donc, par les propres paroles de l’empereur, qu’ayant malheureusement en horreur les livres juifs, ainsi que les nôtres, il avait enfin voulu faire mentir les prophètes juifs.

L’abbé de La Bletterie, historien de l’empereur Julien, n’entend pas comment le temple de Jérusalem fut détruit trois fois. Il dit[1] qu’apparemment Julien compte pour une troisième destruction la catastrophe arrivée sous son règne. Voilà une plaisante destruction que des pierres d’un ancien fondement qu’on n’a pu remuer ! Comment cet écrivain n’a-t-il pas vu que le temple bâti par Salomon, reconstruit par Zorobabel, détruit entièrement par Hérode, rebâti par Hérode même avec tant de magnificence, ruiné enfin par Titus, fait manifestement trois temples détruits ? Le compte est juste. Il n’y a pas là de quoi calomnier Julien[2].

L’abbé de La Bletterie le calomnie assez en disant qu’il n’avait que[3] « des vertus apparentes et des vices réels ». Mais Julien

  1. Page 399. (Note de Voltaire.)
  2. Julien pouvait même compter quatre destructions du temple, puisque Antiochus Eupator en fit abattre tous les murs. (Id.)
  3. Préface de La Bletterie.(Id.)