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APOSTAT.

Souviens-toi que l’abbé d’Aubignac, prédicateur du roi, sifflé à la comédie, se moque de la démarche et de l’air du grand Corneille. Oserais-tu espérer de tourner le maréchal de Luxembourg en ridicule, parce qu’il marchait mal et que sa taille était irrégulière ? Il marchait très-bien à l’ennemi. Laissons l’ex-jésuite Patouillet et l’ex-jésuite Nonotte, etc., appeler l’empereur Julien l’apostat. Eh, gredins ! son successeur chrétien, Jovien, l’appela divus Julianus.

Traitons cet empereur comme il nous a traités lui-même[1]. Il disait en se trompant : « Nous ne devons pas les haïr, mais les plaindre ; ils sont déjà assez malheureux d’errer dans la chose la plus importante. »

Ayons pour lui la même compassion, puisque nous sommes sûrs que la vérité est de notre côté.

Il rendait exactement justice à ses sujets, rendons-la donc à sa mémoire. Des Alexandrins s’emportent contre un évêque chrétien, méchant homme, il est vrai, élu par une brigue de scélérats. C’était le fils d’un maçon, nommé George Biordos[2]. Ses mœurs étaient plus basses que sa naissance : il joignait la perfidie la plus lâche à la férocité la plus brute, et la superstition à tous les vices ; avare, calomniateur, persécuteur, imposteur, sanguinaire, séditieux, détesté de tous les partis ; enfin les habitants le tuèrent à coups de bâton. Voyez la lettre que l’empereur Julien écrit aux Alexandrins sur cette émeute populaire. Voyez comme il leur parle en père et en juge.

« Quoi ! au lieu de me réserver la connaissance de vos outrages, vous vous êtes laissé emporter à la colère, vous vous êtes livrés aux mêmes excès que vous reprochez à vos ennemis ! George méritait d’être traité ainsi ; mais ce n’était pas à vous d’être ses exécuteurs. Vous avez des lois, il fallait demander justice, etc. »

On a osé flétrir Julien de l’infâme nom d’intolérant et de persécuteur, lui qui voulait extirper la persécution et l’intolérance. Relisez sa lettre cinquante-deuxième, et respectez sa mémoire. N’est-il pas déjà assez malheureux de n’avoir pas été catholique, et de brûler dans l’enfer avec la foule innombrable de ceux qui n’ont pas été catholiques, sans que nous l’insultions encore jusqu’au point de l’accuser d’intolérance ?

  1. Lettre lii de l’empereur Julien. (Note de Voltaire.)
  2. Biord, fils d’un maçon, a été évêque d’Annecy au xviiie siècle. Comme il ressemblait beaucoup à George d’Alexandrie, M. de Voltaire, son diocésain, s’est amusé à joindre au nom de l’évêque le surnom de Biordos. (K.)