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APOSTAT.

son persécuteur, surtout quand il veut dominer sur la conscience.

Une autre probabilité, c’est que dans aucun de ses ouvrages il ne dit qu’il ait été chrétien. Il n’en demande jamais pardon aux pontifes de l’ancienne religion. Il leur parle dans ses lettres comme s’il avait toujours été attaché au culte du sénat. Il n’est pas même avéré qu’il ait pratiqué les cérémonies du taurobole, qu’on pouvait regarder comme une espèce d’expiation, ni qu’il eût voulu laver avec du sang de taureau ce qu’il appelait si malheureusement la tache de son baptême. C’était une dévotion païenne qui d’ailleurs ne prouverait pas plus que l’association aux mystères de Cérès. En un mot, ni ses amis ni ses ennemis ne rapportent aucun fait, aucun discours qui puisse prouver qu’il ait jamais cru au christianisme, et qu’il ait passé de cette croyance sincère à celle des dieux de l’empire.

S’il est ainsi, ceux qui ne le traitent point d’apostat paraissent très-excusables.

La saine critique s’étant perfectionnée, tout le monde avoue aujourd’hui que l’empereur Julien était un héros et un sage, un stoïcien égal à Marc-Aurèle. On condamne ses erreurs, on convient de ses vertus. On pense aujourd’hui comme Prudentius son contemporain, auteur de l’hymne Salvete, flores martyrum. Il dit de Julien :

Ductor fortissimus armis,
Conditor et legum celeberrimus; ore manuque
Consultor patriæ : sed non consultor habendae
Relligionis ; amans tercentum millia divum.
Perfidus ille Deo, quamvis non perfidus orbi.

Apotheos., v. 450-454.

Fameux par ses vertus, par ses lois, par la guerre,
Il méconnut son Dieu, mais il servit la terre.

Ses détracteurs sont réduits à lui donner des ridicules ; mais il avait plus d’esprit que ceux qui le raillent. Un historien lui reproche[1], d’après saint Grégoire de Nazianze, d’avoir porté une barbe trop grande. — Mais, mon ami, si la nature la lui donna longue, pourquoi voudrais-tu qu’il la portât courte ? — Il branlait la tête. — Tiens mieux la tienne. — Sa démarche était précipitée. —

  1. L’abbé de La Bletterie : voyez le Portrait de l’empereur Julien, en tête du Discours de l’empereur Julien (dans les Mélanges, année 1769).